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Contributions à l'histoire de l'enfance aux XVIIIe et XIXe siècle
19 novembre 2022

Les crèches d’entreprises

                   I)  Les crèches industrielles de l’Oise (1845-1914) [1]

 

Sur les 15 établissements ayant existé pendant la période étudiée, nous dénombrons cinq crèches d'entreprises dont quatre furent créées par des industriels :

-M. MORITZ

Usine située à Ourscamps

Fabrique de velours

Date de création : garderie fondée en 1852, transformée en crèche en 1867. [2]

- M. MAUREY-DESCHAMPS

Usine située à Trie-le-Château.

Manufacture de brasserie fine et peignes. Garnitures de toilette.

Date de la création de la crèche : 1882

- M. LOONEN

Usine située à Tracy-le-Mont

Manufacture de brosserie fine

Date de la création de la crèche Sainte-Suzanne 1897

- M. MAXIME-CLAIR et fils

Usine située à Crépy-en-Valois

Fabrique de meubles

Date de création de la crèche : 1914

Comme nous l'avons vu précédemment M. Dupont, fabricant de brasses et de boutons, ne s'occupa de Saint-Jacques, qu’à la mort de son fondateur, le notaire Flye. A l'arrivée du manufacturier !'institution fonctionnait déjà depuis vingt ans.

Ces entreprises employaient en effet de nombreuses mères de famille. Dans l'Oise, les femmes représentaient 58% du personnel des brasseries en 1886-1887 et 60% en 1911.[3] Un numéro édité entre 1913 et 1914 de la Revue philanthropique nous apprend que 300 femmes exerçaient dans I' usine Dupont, 200 chez Moritz et enfin 80 femmes et 120 filles chez Loonen. [4] En 1914, la fabrique de Crépy-en-Valois faisait travailler « environ 800 à 90 à ouvriers parmi lesquelles 80 à 100 ouvrières ». [5]

II) Des industriels philanthropes ou paternalistes.

Quelle était la motivation de ces patrons fondateurs de crèches ? N'éprouvaient-ils pas un sentiment de responsabilité sociale vis-à-vis de

leurs ouvriers ? N'était-il pas de leur devoir de les assister ? Sans doute, voulaient-ils améliorer le sort des enfants de leurs employées et diminuer la mortalité infantile. Mais n'espéraient-ils pas également fixer cette population ouvrière très instable, maintenir la paix sociale. La création des crèches s'inscrit probablement dans la même stratégie que celles des magasins d'entreprise, des cités ouvrières, des fanfares d'usines [6] et autres actions mi-philanthropiques mi-paternalistes que l'on rencontre chez le patronat de cette époque. [7] Cette aide était elle aussi une compensation à la faiblesse des salaires féminins ? Sans doute, les motivations étaient­-elles multiples voire différentes, selon les chefs d'entreprises.

III) Crèches d'entreprises ou crèches de quartier.

A l'exception de celle de Crépy-en-Valois, qui fut installée dans une dépendance de l'usine (l’ancienne cantine), les crèches ne se trouvaient pas à l'intérieur des établissements, mais aux alentours. Ainsi, les employées de M. Dupont n'avaient que 250 mètres à  parcourir pour retrouver leurs enfants. Cette proximité permettait aux ouvrières de venir allaiter leurs bébés. Le règlement de l'usine de Trie précisait, cependant, qu'elles n'avaient le droit de s'absenter qu'en dehors des heures de travail, c'est à dire le matin avant 7 h 45 et pendant le repas du midi entre 11 h 30 et 13 h15 [8]. Avec de telles exigences, le sevrage devait être vite réalisé ! A Tracy-Ie-Mont il était prévu au moins deux tétées dans la journée sans précision d'horaire.[9]

Mais, quelle que soit leur situation géographique, les crèches vivaient au rythme des usines ; hormis les dimanches et jours fériés, elles ouvraient et fermaient en même temps que les manufactures (en général, de 6 heures et demie du matin, à 7 heures et demie du soir). A Trie-le-   Château, les berceuses accueillaient les enfants quinze minutes avant le début du travail dans les ateliers et ne pouvaient pas les garder plus de trente minutes après la fermeture de la fabrique. [10]

Certaines crèches étaient ouvertes à tous les nourrissons du quartier. En 1877, dans un rapport moral envoyé au préfet, était indiqué « la proportion des enfants de l'usine de M. Dupont et des enfants étrangers l'usine, admis à la crèche Saint-Jacques. » [11]

 

Année

Appartenant à l'usine

N'appartenant pas à

  l'usine

Nombre d'enfants admis

1873

12

6

15

1874

12

3

15

1875

11

4

15

1876

 6

4

10

 

Nous verrons plus loin que les autorités préfectorales incitèrent M. Maurey-Deschamps à accueillir tous les enfants de la commune de Trie.

IV)    Financement des crèches d'entreprises.

Malgré les subventions et les rétributions payées par les mères, les industriels étaient toujours obligés de soutenir de leurs propres deniers ces institutions et souvent amener à combler les déficits. L'exemple de crèche Saint-Jacques de Beauvais en est la parfaite démonstration. Dès son origine, le notaire Flye prit en charge les déficits ; suivant son exemple M. Dupont en fera de même. Notre documentation nous permet de constater que, pour a période qui va de 1873 à 1877, le manufacturier était à l'origine de 75 % des recettes de l'établissement.

                            Origne des recettes crèche Saint-Jacques Beauvais [12] 1873-1877

 

Quelques années plus tard, la situation s'était améliorée ; la part du chef du d'établissement n'était plus que de 32,8 %, une subvention de l'état étant venue s'ajouter celle du département.

                          Origine des recettes crèche Saint-Jacques Beauvais 1885-1895 [13] 


En plus de combler les déficits, les industriels faisaient souvent des dons en nature :

-  Chauffage, éclairage (Trie-le-Château).

-  Nourritures des enfants, achats de jouets offerts à Noël (Tracy).

Les subventions.

Ces subsides avaient des origines diverses. La crèche de Beauvais recevait des aides du Conseil général et du Ministère. Une subvention départementale de 200 francs était attribuée à l’institution de Trie. Mais en 1883, le préfet précisait que « que cette subvention est allouée sous la condition de justifier à l'avenir des dépenses de cet établissement et d'y admettre les enfants de la commune avec ceux des ouvriers de l'usine. » [14]M. Maurey-Deschamps répondit qu'il acceptait de les accueillir, si les nourrissons de ses ouvrières demeuraientprioritaires lors des admissions et si le Conseil municipal s'engageait à verser 0,50 F par jour et par pensionnaire. D'après Maurey-Deschamps, la commune ne donna jamais suite. Ainsi, seuls les enfants de l'usinefurent revus. Néanmoins la subvention départementale continua à êtreversée jusqu'à la fermeture de l'établissement. En tant qu'annexe de laSociété de secours mutuel de la manufacture, cette crèche recevait également une aide financière de cette association.

La rétribution maternelle.

Si, à Beauvais,[15] les mères payaient intégralement la pension de leurs enfants, dans d'autres crèches elles étaient aidées par leurs employeurs. Ainsi, à Trie le château, la maison Maurey-Deschamps prenait en charge la moitié de la pension, qui s'élevait à 50 centimes par enfant et par jour. Cette aide était automatiquement supprimée en cas d'absence non autorisée de l'ouvrière.[16] En compensation des sommes versées (40 centimes pour un enfant, 25 pour 2 ou 3), les mères travaillantes à Tracy voyaient leur salaire majoré de 10%.[17] M. Loonen proposait également d'autres avantages. II accordait de préférence aux familles désireuses d'utiliser la crèche, les logements, qu'il possédait près de l'usine. De même, il aidait ses ouvrières, en participant aux frais de leurs accouchements. Le docteur Rochefort, médecin attaché à la manufacture, réduisait ses honoraires à 18 francs pour toutes les parturientes, futures utilisatrices de la crèche. Au bout d'un an de présence à Sainte-Suzanne, l'industriel versait à la femme 15 francs pour lui permettre de payer le praticien. Ainsi, elles ne déboursaient que 3 francs.

En maintenant le principe de la rétribution maternelle dans leurs établissements les industriels faisaient de la mère « une associée de l'œuvre » et non « une assistée ». ' « Sa dignité morale est respectée, le lien de famille sauvegarde et la santé de l'enfant est mieux préservée ». [18]

V ) L'échec de la crèche de Trie-le-Château.

Cette crèche, qui ouvrit ses portes le 1er septembre 1882, fut en réalité un échec. La maison Maurey-Deschamps décida d'arrêter cette expérience en janvier 1892. La fermeture fut effective le 1er mars de la même année (voir lettre jointe). Cet insuccès semble lié à la désaffection des ouvrières pour l’institution. En 1884, pour lutter contre la baisse des effectifs, l'industriel modifiait le règlement et proposait « la gratuite absolue aux mères qui travaillent à l'usine », ii maintenait cependant la rétribution de 0,25 franc si l'ouvrière quittait !'atelier. Cette mesure ne sera pas suivie d'effet. Inexorablement, le nombre des journées de présence ne cessera de diminuer. [19]

                     Evolution du nombre de journées de présence à la crèche de Trie-le-Château 1884-1891.

 

 

 

De 11 en 1884, 13 en 1885, le nombre d'enfants inscrits passera à 3 en 1891. Dans les dernières années, la crèche, établie pour 10 berceaux ne recevra, certains jours, qu'un seul enfant. M. Maurey-Deschamps expliquait cet échec par l'incompréhension des parents. Dans tous les rapports médicaux, après les éloges sur le bon état sanitaire de l’institution, on retrouve le même leitmotiv :

 

-  1885 « La création d’une crèche à Trie le château a été un bienfait que les parents n’apprécient pas toujours convenablement ; c’est regrettable ! » [20]

-             1887 « Il est difficile de faire comprendre aux parents les bienfaits rendus par un établissement de ce genre. IIs semblent généralement ne pas tenir aucun compte des sacrifices consentis par le chef de l'usine… » [21] L'incompréhension des familles expliqua-t-elle à elle seule cet échec ? En effet, nous pouvons nous interroger sur l'utilité d'installer une crèche dans cette usine. Contrairement aux ouvrières campagnardes exilées dans les grands centres industriels, les employées de Maurey-Deschamps étaient probablement recrutées parmi les habitantes de Trie-le-Château et les villages des environs. Par conséquent, elles pouvaient confier leurs enfants à un membre de leur famille. Dans les petites communes, les nourrices étaient vraisemblablement connues de la population ; peu de femmes travaillaient hors de leur domicile. Aussi était-il sans doute aise de trouver une gardeuse ?

 

En créant une crèche, Maurey-Deschamps, outre une volonté d'action sociale, ne souhaitait-il pas fixer quelque peu une population féminine d'origine rurale peut-être sujette à absentéisme ? (voir l'article du règlement sur le paiement de la rétribution en cas d'absence non autorisée). Seule une étude spécifique de cette entreprise permettrait de confirmer cette hypothèse. II est à noter que les crèches d'entreprises connues dans l'Oise avant 1914 se trouvent dans de petites villes (Trie, Tracy-le-Mont, Crépy-en-Valois) à l’exception de Saint-Jacques à Beauvais, mais dont la création n'était pas le fait du manufacturier.

En n'utilisant pas la crèche de l'entreprise, les ouvrières voulaient peut-être préserver leur indépendance et leur dignité.

Tous les rapports médicaux étaient élogieux et indiquaient que toutes les normes d'hygiène étaient respectées. Mais était-ce vrai ? Aucun compte rendu d'inspection ne nous le confirme. Des mères de famille peu convaincues hésitaient peut-être à y placer leurs jeunes enfants.

La fermeture de l'établissement de Trie est peut-être la preuve que le rôle des crèches, institution encore jeune (mains de 50 ans d'existence au moment des faits) était loin d'être connu et reconnu dans les petites villes de l'Oise, mais peut-être aussi dans les centres plus importants si l'on en croit les difficultés que rencontraient Saint-Quentin et Saint-Jean à Beauvais dans le domaine de la fréquentation.

 

 En créant une crèche, Maurey-Deschamps, outre une volonté d'action sociale, ne souhaitait-il pas fixer quelque peu une population féminine d'origine rurale peut-être sujette à absentéisme ? (Voir !'article du règlement sur le paiement de la rétribution en cas d'absence non autorisée). Seule une étude spécifique de cette entreprise permettrait de confirmer cette hypothèse. II est à noter que les crèches d'entreprises connues dans l'Oise avant 1914 se trouvent dans de petites villes (Trie, Tracy-le-Mont, Crépy-en-Valois) à l'exception de Saint-Jacques à Beauvais, mais dont la création n'était pas le fait du manufacturier.

En n'utilisant pas la crèche de l'entreprise, les ouvrières voulaient peut-être préserver leur indépendance et leur dignité. Tous les rapports médicaux étaient élogieux et indiquaient que toutes les normes d'hygiène étaient respectées. Mais était-ce vrai ? Aucun compte rendu d'inspection ne nous le confirme. Des mères de famille peu convaincues hésitaient peut-être à y placer leurs jeunes enfants.

La fermeture de l'établissement de Trie est peut-être la preuve que le rôle des crèches, institution encore jeune (moins de 50 ans d'existence au moment des faits) était loin d'être connu et reconnu dans les petites villes de l'Oise, mais peut-être aussi dans les centres plus importants si l'on en croit les difficultés que rencontraient Saint-Quentin et Saint-Jean à Beauvais dans le domaine de la fréquentation.

 

 



[1] En 1913, une enquête de la Revue Philanthropique (tome 34 1913-1914) faisait le point des crèches industrielles et des chambres d'allaitement en France. L'auteur de !'article recensait 31crèches et 21 chambres d'allaitement auxquelles il faut ajouter 9 chambres d'allaitement et 8 crèches en ce qui concernait les 26 manufactures d'état. Les Vosges avec11 établissements et le Nord avec 16 arrivent en tête. L'Oise apparait assez bien placée. II convient de reprendre pour ces chiffres les mêmes précautions que celles déjà indiquées lors de l'établissement des cartes générales.

[2] En1905, I' inspectrice, Mme Landrin considérait cet établissement « plutôt comme une garderie que comme une crèche » . Lettre du Ministère de l'intérieur au Préfet 17fevrier 1905 A.D de l'Oise 3X..

[3] D.Brancotte L’industrie Brossière dans l'Oise p.58

[4] Revue Philanthropique T 34 1913- 1914 page 686-687. Tableau crèches industrielles et chambres d'allaitement. Archives de !'Assistance Publique

[5] Rapport du Dr Paquet inspecteur de la commission départementale d'hygiène 6/05/1914 A.D de l'Oise 3  X ...

[6] Ainsi l'usine Dupont verra la création en 1848 de la société de secours mutuel St-Hildever avec un magasin, en 1869 d’une société de secours mutuel, en 1895 d'une musique, en 1896 de la société de H.B.M "la Beauvaisine "qui permettra la construction de la cité « Dupont ». Didier  Brancotte conférence 150 ans d'industrie brossière à  Beauvais.  Écomusée des pays de l'Oise 8/06/1995.

[7] Comme l'envisagent M. Brancotte et M. Thibault (Écomusée des pays de l'Oise).

[8] Article 8 du règlement intérieur en date du31/08/1882 Trie-le-Château A. D de l'Oise 3 X...

       [9] Article 6 du règlement intérieur Tracy-le-Mont A.D de l'Oise 3X...

[10] Article 3 Trie-le-Château op.cit.

[11] Rapport moral 1877 St - Jacques Beauvais. A. D de l'Oise 3 X...

[12] Réalisé d'après les rapports moraux de St- Jacques 1873-1877 A.D de l'Oise 3X ...

[13] Ibib.

[14] Lettre du Pr et 22 mars 1883 A.D de l'Oise 3X.

[15] Taux de rétribution maternelle : 0,10 F quel que soit le nombre d’enfants ; puis a partir de 1886, 0,20 F.

[16] Article 5 du règlement de Trie le Chateau. Op. cit.

[17] Article 5 du règlement deTracy-le-Mont. Op. cit.

[18] Bulletin de la Société des crèches n° 102 Avril 1901 p 183..187. La crèche Sainte - Suzanne de Tracy-le-Mont.

[19] D’après les rapports moraux envoyés au préfet. A.D de l’Oise 3X …

[20] Rapport médical crèche de Trie-le-Château Docteur Avenel 1885 A.D de L'Oise 3x..

[21] lbid ...1887

 

 

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  • Intéressée par l’histoire, j’ai effectué, des recherches dans plusieurs services d’archives sur les thèmes de l’enfance, des sages-femmes. Vous trouverez dans ce blog les écrits rédigés à partir de ces recherches. N. Dejouy
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