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Contributions à l'histoire de l'enfance aux XVIIIe et XIXe siècle
22 février 2023

Le lieu de l’abandon : le tour de l’hôpital d’Orléans

Il n’est guère envisageable d’étudier les enfants trouvés, abandonnés sans évoquer l’endroit où commençait leur parcours. Les tours d’abandon ont fait l’objet, non sans raison, de nombreuses études. Présenter le peu de données dont nous disposons pour celui d’Orléans s’impose car plus de 13 000 enfants y furent déposés entre l’an 3 et le premier février 1857, date de sa fermeture, et le tour était un élément central du dispositif d’accueil des enfants abandonnés dans l’organisation prévue par le décret impérial du 19 janvier 1811.

 

 https://compediart.com/index.php/2019/04/01/ces-boites-ou-on-deposait-les-bebes-au-xixeme-siecle-les-      tours-dabandon/

Quelques éléments sur l’histoire des tours.

L’origine des tours se trouve en Italie. C’est sous le pontificat de Sixte IV (1471-1484) que ce mode de recueillement des enfants trouvés et abandonnés commence à se développer. Le premier « ruote di trovatelli » (roue pour enfants trouvés) fut installé à Rome lorsque ce pape se chargea de rétablir l’hôpital chargé d’accueillir les enfants abandonnés créé à l’initiative d’Innocent III au Moyen-âge. Si le système du tour se répandit en Italie, pour Léon Lallemand, leur existence en France jusqu’au décret de 1811 fut exceptionnelle. Étudiant le mode de réception des enfants abandonnés à l’hôpital  de Nantes, il écrit : «  Il  y a loin de ce  système à l'admission secrète au moyen  des tours que l'on croit souvent avoir existé, au moins dans la région méridionale, alors qu'avant 1789 cette institution ne se rencontrait dans notre pays, on ne saurait trop le répéter, qu'à l'état de réelle exception ». [1]Si un doute, selon lui subsiste concernant Dijon en 1649, la mention la plus sûre de l’existence d’un tour serait à l’hôpital Saint Louis de Bordeaux en 1717. « La boîte pour les enfants dit le règlement, n'a pas été faite pour autoriser l'exposition ni pour inviter les pères et mères ou ceux qui, à prix d'argent, exposent leurs enfants, mais seulement l'esprit de charité pour les conserver et empêcher l'exposition dans les rues et places publiques qui pourrait causer la mort des enfants soit par les passants qui, ne les apercevant pas, les pourroient fouler aux pieds, ou qui seroient gâtés par les autres animaux. » [2]. Lorsla rédaction des cahiers de doléances précédant la réunion des États généraux de 1789, la question des enfants trouvés fit l’objet de nombreux vœux, mais comme le pointe Léon Lallemand, les formulations sont souvent très générales. « Seuls quatre cahiers sollicitent l'établissement dans les villes principales de tours ou « de berceaux commodes pour les qui déposent les enfants, n'ayant plus à craindre d'être poursuivis ne les délaissent plus dans les rues » [3]

Le décret du 19 janvier 1811 : l’officialisation des tours en France.

Le décret impérial du 19 janvier 1811 institue le système des tours comme on peut le lire dans l’article 3 « Dans chaque hospice destiné à recevoir des enfans trouvés, il y aura un tour, où ils devront être déposés. » Leur création avait pour but d’éviter les infanticides et les dépôts sur la voie publique, aux portes des églises ou d’autres endroits fréquentés avec tous les risques que cela présentait pour les enfants. En 1811, 77 départements avaient ouvert un tour, ils en existaient 250 [4] d’après le relevé de Julien Leclerc dans son étude sur le tour de Dreux. Cependant, Léon Lallemand signale que 6 départements n'en eurent jamais. Cet essor fut rapidement stoppé, entre 1813-1823, 9 fermetures eurent lieu, puis 35 entre 1823 -1834, 25 en 1835, 32 en 1836 et 16 en 1837. [5]

A partir de 1830, des débats eurent lieu, opposant les défenseurs de ce système qui y voyaient un acte de charité chrétienne et ses détracteurs qui, du fait de l’anonymat, pensaient favoriser le vice, les naissances illégitimes, la prostitution et inciter à l’abandon. D’autres imaginaient que certaines mères déposaient leur enfant dans un tour puis se faisaient embaucher à l’hospice comme nourrice et ainsi recevoir une rémunération pour s’occuper de lui.

Le tour : principe de fonctionnement.

Le tour d’abandon était le plus souvent situé dans des lieux assez isolés, mais près des hospices. C’était un cylindre de bois dans lequel était déposé le bébé avec éventuellement des vêtements ou objets, qui tournait sur lui-même pour permettre le recueil de l’abandonné par la personne de garde prévenue par une clochette. Dans certains hospices, il s’agissait d’une pièce équipée d’un système de clochette pour avertir et de deux portes, une sur l’extérieur pour entrer déposer l’enfant dans un berceau et une autre porte à l’intérieur de l’hospice pour le recueillir après le départ de la mère.

Il subsiste quelques tours in situ, comme à Mâcon et Rouen dont les photos sont reproduites ci-dessous.[6]

 

  Dans la région Centre-Val de Loire, on peut toujours voir celui de Dreux dont nous donnons la description provenant de la base Patrimoine architectural (Mérimée). « Le tour d'abandon, officialisé en 1811, disparaît en 1860. Celui-ci, mis en service en 1812, cessa son activité en 1837, et reçut en tout près de 500 enfants. Le tour occupe un pilier de briques du portail d'accès, entre la porte charretière et la porte piétonne. Logé dans un évidement de la maçonnerie, le tour est constitué par un demi-cylindre de bois garni d'une paillasse. Il est monté sur un pivot qui permet de le tourner vers deux guichets fermés par des volets de tôle et s'ouvrant, l'un sur la rue, l'autre sur la cour de l'établissement. » [7]

 

 Les tours du département du Loiret.

Le décret de 1811 provoqua la création dans le Loiret, Pithiviers, Gien et Montargis.  Celui de Pithiviers ne fonctionna pas longtemps d’après monsieur Creuzot, le faible nombre d’expositions, 4 à 5 par an entraîna sa fermeture en 1817. [8] Celui de Gien ferma en 1832 comme on peut le lire sur cette lettre du sous-préfet de Gien adressée au maire de Saint-Aignan-le-Jaillard. La raison de cette décision était « d’empêcher que des enfants de la Nièvre, où toutes les crèches ont été murées excepté celle de Nevers, n’y soit déposés » augmentant ainsi les charges  financières  du département du Loiret.[9]

 

                           A.D 45 589 O-SUPPL 3Q/1 lettre du sous-préfet  de Gien au maire

                           de Saint-Aignan-le-Jaillard 30/9/1832.

Six ans plus tard, en 1838, le tour de Montargis fut fermé à son tour. Ces deux décisions provoquèrent de nombreux débats au Conseil général et de multiples plaintes de la commission administrative de l’hôpital d’Orléans confrontée à une explosion des admissions et de ce fait à des difficultés financières.

 Le tour de l’hôpital d’Orléans.

Dans le rapport moral de 1839, présenté par la commission administrative de l’hôpital, on peut lire ; « un tour est établi depuis un temps immémorial ». [10] Cette assertion mérite quelques nuances. Tout d’abord, on peut faire remarquer que Léon Lallemand ne fait pas état d’un tour à Orléans dans ses écrits. D’autre part, il existe aux archives départementales du Loiret, une liste de 180 enfants exposés allant de 1741 à 1765. Parmi les renseignements que l’on possède sur ces derniers figure le lieu où ils furent retrouvés. Pour un grand nombre d’enfants, il s’agit de la porte de l’hôpital, pour d’autres, divers lieux dans Orléans. Il n’est nullement fait mention d’un tour. Ce document semble plaider pour l’absence de ce dispositif à cette époque. Il est possible que la formulation de la commission administrative fasse plutôt référence à l’ancienneté de l’accueil des enfants trouvés et abandonnés au sein de l’établissement. La trace la plus ancienne que nous connaissons figure dans l’Extrait de l’établissement de l’ausmone générale d’Orléans publié par lettres patentes par Henri II le 15 mai 1556. Dans ce document qui réglementait l’accueil des différentes catégories de pauvres, on peut lire : « quant au grand Hôtel-Dieu et hôpital d’Orleans, demeurera pour les malades et enfans exposés, comme il a este cy-devant ». [11]

Localisation du tour d’Orléans : hypothèse et certitude.

Si l’ancienneté du tour d’Orléans reste en suspens, sa première localisation est aussi inconnue et l’on doit se borner à une hypothèse. Si l’on se base sur le plan des environs de 1804 reproduit ci-dessous, on peut repérer le premier emplacement de la crèche, il serait donc légitime de penser que le tour fut situé sur la rue du Calvaire, actuelle rue Stanislas Julien soit au niveau de la cour du berceau ou de la crèche des filles. Cette possibilité est à prendre avec beaucoup de précautions.

En 1837, la commission administrative faisait état d’un courrier du préfet du Loiret ordonnant « la translation du tour de l’hôpital général de l’endroit où il est actuellement à la porte principale de l’établissement ». [12] Cette nouvelle localisation posait quelques problèmes :  « Vous conviendrez avec nous, que tenir la crèche trop éloignée de l’endroit qui doit recevoir définitivement les enfans nouveau-nés ce serait exposer ces infortunés à l’influence de l’intempérie du tems dans toutes les saisons de l’année ; et de plus exposer le préposé chargé de les recevoir à mettre le feu dans la Maison en traversant les cours avec de la lumière pendant la nuit . »[13]La lettre faisait ensuite allusion au projet de déplacement du service des enfants trouvés et abandonnés. La nouvelle localisation du tour était, fort logiquement conditionnée, à celle de la crèche.

Ce mouvement eut lieu en 1839, les bâtiments occupés par les enfants devant être dévolus au service des aliénés, la crèche fut transférée dans les magasins se trouvant dans la cour dite des passants permettant ainsi de placer le tour sur la rue Porte Madeleine en application de la décision de préfet de 1837. [14] Le tour ouvrait dans le dortoir. [15] Nous ne savons rien sur le tour hormis qu’il était muni d’une sonnette. En janvier 1850, la commission administrative demanda au préfet « que le tour destiné à recevoir les enfans trouvés soit désormais fermé de l’extérieur, de manière que toute personne qui voudra exposer un enfant nouveau-né soit obligé d’avertir la personne de garde d’un coup de sonnette. »[16] Cette demande fut approuvée et mise à exécution en février de la même année.

La fermeture du tour orléanais.

Après la fermeture du tour de Montargis, il ne restait plus dans le département que celui d’Orléans, d’ailleurs aussi utilisé par les habitants des départements limitrophes. Dès 1839, des débats récurrents eurent lieu, en particulier au Conseil général, pour décider de son maintien ou non. Nous aborderons ce sujet dans une autre étude, car il est directement en lien avec l’explosion du nombre des expositions et les taux effrayants de mortalité chez les enfants exposés. Il faudra près de 18 ans pour qu’une décision soit prise.  De fait, le tour d’Orléans fut parmi les derniers supprimés.

Le 12 janvier 1857, le préfet Boselli prenait, suite à la délibération du Conseil général en date du 29 août 1856 un arrêté ordonnant la fermeture du tour. Dans la circulaire qu’il adressait aux sous-préfets et aux maires, il précisait les raisons ayant motivé cette décision. La première avait pour objet de réduire « dans de plus étroites limites des dépenses dont l’exagération dans le département appelait une réforme ». La seconde raison résidait dans la volonté de diminuer « la mortalité effrayante qui frappe les enfans élevés par les Hospices ; elle est de 50 pour %, dix fois plus considérable que chez ceux qui sont temporairement secourus et laissés aux soins de leurs mères ». Enfin, il s’agissait « de conserver un état civil, une famille à de malheureux enfans qui, aujourd’hui quand ils ont survécu à tant de chances de mort, ne trouvent dans la société que l’isolement et finissent, trop souvent abandonnés sans secours… »

Cet arrêté fut imprimé et affiché dans divers endroits du Loiret. Les considérations introduisant l’arrêté notaient qu’il était pris dans « l’intérêt de la morale et de la famille » qu’il était important « d’arrêter l’accroissement du nombre des enfans exposés ». Il pointait aussi la mortalité et la fermeture des tours des départements voisins mettant à la charge du Loiret des dépenses qui ne concernait pas. L’article 1er annonçait la suppression du tour au 1 er février 1857 et son remplacement par un bureau d’admission.

 

                           A.M.O 3 Q 1 15Fi1905 1857

Le bureau d’admission.[17]

 

Édouard Gelhay (1856-1939), Aux enfants assistés, L’abandon, 1886, huile sur toile

musée d’Art et d’Archéologie de Senlis. https://musees.ville-senlis.fr

Bien que n’entrant pas dans notre cadre chronologique, il s’impose cependant de présenter ce dispositif. Le bureau chargé d’examiner les admissions se composait du membre de la commission administrative en charge de la tutelle des enfants assistés, il en assurait la présidence. Lui était adjoint l’inspecteur du service des enfants trouvés et abandonnés et un troisième membre désigné par le préfet. Un employé se chargeait des écritures administratives. Le bureau proposait l’admission au préfet qui statuait. L’article 3 définissait les ayants droit. (Voir article 3 ci-dessous). Le bureau était ouvert de 9 heures du matin à 4 heures du soir. Il en était fini des expositions nocturnes. Si l’anonymat disparaissait « La discrétion la plus absolue est imposée au membre du bureau et à l’employé qui est adjoint. » Les déposants, mère ou tierce personne devaient fournir divers documents. (Voir article 6 ci-dessous). Il était prévu dans certaines situations des allocations temporaires dégressives allant de 6 francs par mois pour la première année à 3 francs pour la quatrième.[18]

                         A.M.O C 670 Recueil des actes administratifs du Loiret n°2 1857.

 

Conséquences de la fermeture du tour.

Les données dont nous faisons état, proviennent du mémoire de maîtrise de Caroline Tourette déposé aux archives départementales du Loiret intitulé : Les enfants assistés du Loiret sous le Second Empire[19]. Son étude prend la suite de la nôtre. La suppression du tour fut suivie d’une diminution spectaculaire du nombre des abandons. Les administrateurs constatèrent que la suppression du tour a « puissamment contribué à la diminution du nombre d’abandonné ». [20] Le graphique réalisé par Caroline Tourette entre 1853 et 1868 atteste de cette réalité. Si la chute du nombre des enfants abandonnés fut réelle, elle n’eut pas un effet immédiat sur le nombre d’enfants présents du fait du cumul des années précédentes. [21]

Après la fermeture du tour, le service des enfants trouvés, abandonnés continua de fonctionner dans les bâtiments qui lui avaient été alloués en 1839. La crèche des filles prit le nom de salle Sainte Anne, celle des garçons celui de l’Enfant-Jésus. Sur la photographie ci-dessous on peut lire au-dessus de la petite porte « ENFANT ASSISTES » nouvelle appellation pour désigner ces enfants depuis la loi du 27 juin 1904.[22] L’abbé Gaillard indiquait qu’elle permettait « d’entrer dans la cour Sainte-Anne appelée autrefois cour des enfants abandonnés. » [23]

Collection de l’Association des Amis du Patrimoine Hospitalier d’Orléans (APHO).

D’une date qui nous est inconnue jusqu’ au 1 er février 1857, des milliers d’enfants furent déposés dans le tour. Si son remplacement par le bureau d’admission rendit probablement moins brutales les conditions d’accueil ; la séparation n’en était pas moins traumatisante surtout pour les enfants un peu âgés.

 

 

 

 

 

 

 



[1] Lallemand Léon, Histoire des enfants abandonnés et délaissés : études sur la protection de l'enfance aux diverses époques de la civilisation. Paris 1885 p. 237  https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k81417p.texteImage

[2] Ibid., p.  237 et 238

[3] Ibid., p. 251

[4] Leclerc Julien. Étude sur le tour des enfants trouvés. Éditions de la Société des Amis du Musée, des Archives et de la Bibliothèque de Dreux. Firmin-Didot Mesnil-sur-l’Estrée. 2011, p.40.

[5] Ibid., p.274 et 276

[6] https://compediart.com/index.php/2019/04/01/ces-boites-ou-on-deposait-les-bebes-au-xixeme-siecle-les-tours-dabandon/

[7] https://www.pop.culture.gouv.fr/notice/merimee/PA00097099

[8] Creuzot C, Les enfants trouvés dans le Loiret au XIX e siècle 1810-1910 Paris 1988,AD 45 1Mi 1877.

[9] A.D 45 589 O-SUPPL 3Q/1 lettre du sous-préfet de Gien au maire de Saint-Aignan-le-Jaillard 30/9/1832.

[10] A.D 45 3 L1 Rapport moral de la commission administrative de l’hôpital général de 1839.

[11] A.D 45 2 J 1871 Fond Jarry : Orléans, Hôpital général (1672-1777).

[12] A.D 45 1 L 23 Registre des délibérations de la commission administrative de l’hôpital général 24/10/1837

[13] A.D 45 2 L 8 Registre de correspondance active de la commission administrative de l’hôpital général 28/10/1837

[14] AD 45 1 L 23 Registre des délibérations de la commission administrative de l’hôpital général d’Orléans 14/9/1839.

[15] AD 45 3 L1 rapport moral de 1839. Op.cit.

[16] AD 45 1 L 26 Registre des délibérations de la commission administre de l’hôpital général d’Orléans 6/2/1850.

[17] Rédigé à partir de A.M.O C 670 Recueil des actes administratifs du Loiret, n°2 1857.

[18] A.M.O C 670 Recueil des actes administratifs du Loiret, n°28 13/3/1857.

[19] Tourette Caroline, Les enfants assistés du Loiret sous le second Empire. Orléans 1994 A.D 45 BH M/2391

[20] Ibid., p 39.

[21] Ibid.

[22] Cette loi supprima officiellement les tours et institua un bureau des abandons dans chaque département. 

[23] Écrit de l’Abbé Louis Gaillard- Archives hospitalières.

 

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  • Intéressée par l’histoire, j’ai effectué, des recherches dans plusieurs services d’archives sur les thèmes de l’enfance, des sages-femmes. Vous trouverez dans ce blog les écrits rédigés à partir de ces recherches. N. Dejouy
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