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Contributions à l'histoire de l'enfance aux XVIIIe et XIXe siècle
17 avril 2024

Abandonner son enfant : causes et justifications. Deuxième partie.

 

Ne peut élever, le garder : le cas spécifique des  mères domestiques.

 

Ces deux expressions représentent 12,3 % des items, ils font référence à l’impossibilité de prendre en charge l’abandonné, de le gérer sur le long terme. Outre des raisons déjà évoquées, elles  renvoient peut-être au métier des mères. En effet, nous avons constitué un fichier de 1 500 mères ayant exposé leur enfant ; près de 60 %, sont des domestiques. Cette activité était difficilement compatible avec la gestion d’un nouveau-né ou d’un jeune enfant. L’absence de famille pour le garder, le coût de la nourrice amenaient la mère isolée à abandonner son enfant. En général, ces deux expressions ne comportent pas d’éléments nous renseignant plus précisément sur ce qu’elles recouvrent. Néanmoins quelques exemples permettent d’aller un peu plus loin. La situation la plus courante est probablement celle Marguerite Lalanne. Après s’être occupée de son enfant, née à 7 mois,  pendant un mois, elle écrit : « ayant fait mon possible pour le eleve […],  mais je ne puis à gagner ma vie je suis forcé de la maitre a lospic. » [1] On peut penser que la naissance prématurée de l’enfant « elle bien jeune » [2] compliquait  la gestion de l’enfant, mais surtout l’acte de naissance de l’enfant, nous apprend que sa mère, âgée de 28 ans, était domestique de son état et originaire de Pau. Fille-mère, sans soutien de proches  dans le Loiret, contrainte de gagner sa vie comme domestique, l’addition de ces faits l’amenèrent à abandonner son enfant. La présence d’une famille n’était pas toujours un moyen d’éviter l’exposition. La mère de George Stanislas Duchamp, domestique,  était dans l’impossibilité de le confier à ses parents, car ils accueillaient déjà ses deux premiers enfants.[3] Dans le billet présenté ci-dessous, Euphrasine  explique la situation de sa mère : son père l’a abandonné, sa mère est obligé de se placer et ne dispose d’aucune épargne pour la mettre en nourrice. Son seul recours, malgré sa bonne volonté, est de l’exposer. Il nous semble que les femmes en situation de domesticité, que ce  soient en ville ou à la campagne étaient une « population » fragile.  A l’isolement et la nécessité de gagner leur vie, s’ajoutait l’impossibilité, en général, de pouvoir garder leur enfant avec elle. Cela était certainement moins vrai pour les femmes exerçant leurs activités à domicile comme les couturières, par exemple. Ces dernières ayant la possibilité de recourir momentanément à une voisine pour garder l’enfant si cela était nécessaire.

 

[1] A.M.O, registre d’état civil des naissances d’Orléans Marguerite Lalanne 1851 2 eme registre n°271.

[2] A.M.O, registre d’état civil des naissances d’Orléans Marguerite Lalanne 1851 n°924.

[3] A.M.O, registre d’état civil des naissances d’Orléans George Stanislas Duchamp 1852 2 eme registre n°199.

 

Abandonner son enfant : causes et justifications. Deuxième partie.

Des raisons vagues : malheur, circonstances, nécessité, jours meilleurs.

 

Que recouvrent ces expressions vagues, peut-être empreintes de pudeur ? On peut légitimement penser que dans de nombreux cas, il s’agit de situation en relation avec des difficultés économiques. De nombreuses autres raisons peuvent être envisagées dont certaines seront évoquées plus loin : maladie, décès, revers de fortune, problèmes familiaux ou voyage comme dans le billet ci-dessous.

Abandonner son enfant : causes et justifications. Deuxième partie.

Dans ce cas, on a un peu l’impression que l’exposition était pour les abandonneurs un mode de garde transitoire et gratuit. Dans le cadre de l’étude en cours sur les enfants repris, nous avons constaté que certains d’entre eux étaient déposés pour un  temps très court.

 

« quand le temps sera plus propice »

 

Pour de nombreux parents, l’abandon, dans leur esprit, n’était pas définitif, un certain nombre de billets en atteste sous différentes formulations. Ici, nous nous intéresserons aux écrits qui lient raisons de l’abandon et volonté de reprendre l’enfant. En fait, les raisons précises nous échappent, obstacle, difficultés, espoir de temps plus propices, espoir de jours heureux, ces formules renvoient probablement à la conjoncture économique ou à des accidents de la vie. Ces billets font état de difficultés, renferment un espoir, mais taisent les raisons du geste. Quelques citations illustrent cette position d’attente :

 

  • «  lorsque les obstacles qui nous ont  obligés de l’abandonnera ainsi seront leves »  [1]

 

  • « En attendant que son infortunée mère connaisse un temps plus heureux et puisse prodiguer les soins maternels jusqu’alors étouffés. [2]

 

-  «  De parens sains quoique bien malheureux  […]Ils esperent cependant que des jours    plus heureux viendront. » [3] 

-  « Plus tard quand ma position aura triomphé des difficultés presente … pour l’instant je suis forcé de la déposer entre vos mains ! … [4] 

 

Abandonner son enfant pour raisons familiales.

 

 L’abandon et le secret pour préserver l’honneur de la famille.

 

L’étude des billets montre bien que des mères, des couples furent contraints d’abandonner leurs enfants illégitimes, généralement des nouveau-nés afin de préserver l’honneur des familles. En 1828, le curé du Bardot relatait une telle situation et expliquait le stratagème des abandonneurs : « L’enfant m’étant apporté d’une autre paroisse probablement pour raison d’honneur de famille… Je ne lé baptisé que parce que la femme m’exprimait sa crainte à son égard présenté par Catherine Bordier ma paroisienne ».[5]L’enfant concerné s’appelait Charles François Bordieran ; âgé de 3 jours, il n’avait donc pas été admis dès sa naissance, le délai s’explique sans doute par le trajet et le besoin d’une tierce personne.

 En ayant recours au tour d’Orléans, les géniteurs cherchaient le secret. Le verbe « cacher » revient souvent dans leurs billets. Ainsi, en 1828, Marie Magdeleine Ravour « à bezoin deste quaché pour le moment ».[6] En décembre 1831, Florentin Félix Tavernier fut « mis à la charge des hospices pour eviter toute publicité ».[7] Il avait alors 6 jours ; sa mère Caroline Tavernier avait-elle hésité, cherché une solution avant de se résoudre à se séparer de son enfant.  En 1824, les parents de Alexandre Rena expliquaient également être obligés « de taire leurs noms ».[8]

D’autres parents expliquaient agir sous la contrainte de leurs familles. En 1815, la mère de Lucide Louis Gilles était « contraint par une famille ».[9] Certains exprimaient leur désarroi face à cette décision imposée par leurs proches ; en 1812, les parents de Augustin Constant précisaient : « nous sommes malheureux victime des cohortes nos familles ne veulle point nous resevoir ».[10]

 

[1] A.M.O 3Q 5  procès-verbal d’exposition Elvire Anne Mederic 9 fructidor an 11.

[2] A.M.O, registre d’état civil des naissances d’Orléans Antonio Charles Cli  1819 n°735.

[3] A.M.O, registre d’état civil des naissances d’Orléans Louis Constantin Barlot 1832 n°471.

[4] A.M.O, registre d’état civil des naissances d’Orléans Juliette Thais Frenay 1851 2 eme registre n°527.

[5] A.M.O Registre d’état civil des naissances d’Orléans 1828 n°638.

[6] A.M.O Registre d’état civil des naissances d’Orléans 1828 n°560.

[7] A.M.O Registre d’état civil des naissances d’Orléans 1831 n°1241.

[8] A.M.O Registre d’état civil des naissances d’Orléans 1824 n°555.

[9] A.M.O 3Q 9 Procès-verbal d’exposition 01/09/1815.

[10] A.M.O 3Q 7 Procès-verbal d’exposition 19/12/1812.

Abandonner son enfant : causes et justifications. Deuxième partie.

En 1813, la mère d’Emilie Adelayde Catin justifiait ainsi son choix de se séparer de sa fille : « forcée de prendre ce cruelle moyen afin de cacher a une famille honaitte le malheur qui est arrivé ».[1]

L’honneur est en effet une thématique qui était souvent employée par les abandonneurs soit pour qualifier leurs familles et donc leurs origines soit pour se présenter eux-mêmes. Ainsi, Juliet Gabrielle Duet était une enfant « appartenant à des parant honnêtee que les circontances imperieuses empêche de [la] reconnaitre ».[2]

Cependant, des abandonneurs, confiants dans l’avenir, envisageaient dès la séparation de récupérer leurs enfants après leur « union ». En 1831, la mère de Joseph Filair faisait également part de son espoir : « impossible pour moi de de mettre aux zieux de mes parans mon cher fils, mais jespère que ce beau jour arrivera bientôt ».[3]

Nous ignorons si les abandonnés purent retourner auprès de leurs parents. Aucun des enfants cités dans cet article n’a été retrouvé au cours de nos recherches. Au vu de la forte mortalité qui sévissait parmi les enfants exposés, on peut penser que nombre d’entre eux décédèrent à l’hospice ou chez leurs nourrices et que leurs pères et mères ne le surent jamais.

 

Des parents chargés d'enfants.

 

Le 3 mai 1836, Marie Sophie Morges, un an, était abandonnée par sa mère : « dans l’imposibilité de la garder vue que yant dautre enfans tres jeune a elever et netant soutenue de personne de sa famille ». [4]En fait, la petite Marie avait été recueillie par sa marraine et ce fut à la suite du décès de cette dernière qu’elle fut admise à l’hospice d’Orléans. D’autres parents arguèrent également de leurs charges de famille pour exposer un ou deux enfants tout en conservant, quelquefois, auprès d’eux une partie de la fratrie.  Au cours de la période étudiée (an 3 – 1856), nous avons relevé 23 situations de ce type.  Dans 7 cas, nous ignorons le nombre exact d’enfants ; l’auteur du billet indiquant seulement que les abandonneurs avaient « plusieurs enfants, d’autres enfants, une nombreuse famille ». Parfois, il se montra plus précis en indiquant le nombre d’enfants qui allait de 7 à 2 [5] et éventuellement leurs âges respectifs. Ainsi, en 1846, le sieur Frédéric Goberville, journalier, déclarait avoir avec sa femme « provenant de leur mariage cinq enfans en bas âge dont deux sont agés de vingt jours Louis Theodore et Frédéric Théodore Goberville » il demandait donc  l’admission des jumeaux expliquant  que « leur malheureuse position les met dans l’impossibilité de subvenir aux dépenses de leur nourriture de leur cinq enfans » ; en effet, «depuis trois mois  il est malade, sans ouvrage sans ressource ».[6]

 Le sieur Goberville était marié et vivait en couple ce qui est assez rare dans notre panel. En effet, sur les 23 cas, nous dénombrons 15 parents seuls : 7 veufs, 5 veuves et 3 mères isolées. La monoparentalité (pour employer un terme moderne et de ce fait anachronique) était une autre raison d’abandon comme la misère, la mauvaise santé ou l’absence de soutien familial. Le décès récent du conjoint semble être directement à l’origine du placement. Ainsi, le 8 nivôse an 12, Noël Etienne, 4 mois «  est mis a lopitalle par mizaire son père vien de perdre sa femme et a plusieurs enfans naillant pas de quoy luy donne pour le present » [7]

 

 

[1] A.M.O 3Q 7 Procès-verbal d’exposition Emilie Adelayde Catin 26/07/1813.

[2] A.M.O Registre d’état civil des naissances d’Orléans Juliet Gabrielle 1823 n°1155.

[3] A.M.O Registre d’état civil des naissances d’Orléans Joseph Filair 1831 n°347.

[4] A.M.O Registre d’état civil des naissances d’Orléans Marie Sophie Morges 1836 n° 503.

[5] 2 fratries de 7 enfants,1 de 6, 3 de 5, 4 de 4, 3 de 3 et enfin 3 de 2.

[6] A.M.O, registre d’état civil des naissances d’Orléans Louis Théodore Goberville 1846 n°35 Fréderic Goberville 1846 2 eme registre n° 36.

[7] A.M.O 3Q 5 billet orignal de Noël Etienne, 8 nivôse an 12.

Abandonner son enfant : causes et justifications. Deuxième partie.

De même, en mars 1836, Françoise Dufié, veuve de Michel Lefevre depuis le 30 janvier, se séparait de son nouveau-né Auguste Théophile, car elle était « dans la plus affreuse indigence » et qu’elle avait «  trois enfans une fille de sept ans , un garçon de deux ans et demie et son dernier dont elle a accouché quelques jours après la mort de son mari »  [1]

Mais, quelle que soit la situation matrimoniale, l’indigence était souvent l’élément qui contraignait les parents à se séparer de leurs enfants. En 1855, le maire de Sury aux Bois demandait  l’admission comme  «  indigens »  à l’hôpital d’Orléans  des 2 enfants  de  Renée Pointeau, journalière de 22 ans, domiciliée dans la commune, ainsi décrite : «  état complet d’indigence ainsi que sa mère qui ne possède aucune propriété mobilière ni immobilière et qui est en ce moment pour ainsi dire à la charge de la commune … deux enfants naturels (non reconnus) , la première René Joséphine Pointeau âgée de 3 ans et le second Etienne François Pointeau âgé de quatre mois qu’elle ne peut dans un moment où les subsistances sont extrémement chères subvenir aux besoins de ses deux enfants ».[2]

Dans ce cas, à la pauvreté, s’ajoutait l’isolement et l’impossibilité d’être aidé par les proches comme l’expliquait également, en 1852, la mère de Georges Stanislas, 12 jours « car jen deux chez mes parents je ne suis qu’une domestique »[3]

Selon les circonstances, les parents pouvaient décider d’abandonner toute la fratrie (ce fut le cas pour le frère et la sœur Pointeau). Mais, le plus fréquent, ils conservaient auprès d’eux les plus âgés et exposaient les plus jeunes, souvent des nouveau-nés ou des bébés (le nouveau-né de la veuve Lefreve, les jumeaux du couple Goberville ou le petit Noël dont nous avons parlé précédemment) . On peut en effet imaginer qu’une nouvelle naissance aggravait une situation économique familiale déjà précaire ; de plus, à cet âge, les enfants nécessitent des soins limitant les possibilités pour les parents de travailler ou de mendier. Cependant, les abandonnés étaient parfois plus âgés. Et, également, dans les fratries de grands, c’étaient toujours les derniers nés dont on se séparait.  Ainsi, en l’An 10, les 3 frères Ducreux, Pierre 5 ans, Jean 3 ans et Nicolas 8 mois étaient abandonnés par leur père, journalier, veuf, malade et contraint à la mendicité. Mais, les plus vieux de 14, 12 et 8 ans restèrent avec lui : ils étaient sans doute plus autonomes, voire capables de l’aider face à la maladie. Peut-être avaient-ils trouvé du travail ou demandaient-ils aussi la charité rapportant ainsi un petit pécule à la famille. De même, en 1848, « un père de 7 enfants la plus part au Bas ges veuf depui toi mois » dans l’incapacité « de pouvoir leurs donners besoins » choisit d’exposer « celui de 3 ans », Emilie Chezeaux. [4]A contrario, en 1823, les parents de Louise Clairon n’abandonnèrent que cette petite fille, âgée de 4 ans alors qu’ils avaient « trois autres enfans en bas âge », mais ils le faisaient, car cette enfant souffrait d’épilepsie et ils craignaient « les accidens que peut occasionner cette maladie terrible »  [5]      

Enfant exposé,

nom, âge

Nombre d’enfants de la famille au total, abandonné compris

Autres causes, situation familiale, remarques

Sources.

A.M.O [6]

Imbert Marie Louise, 19 mois

4

« pauvreté » père décédé

E.C naissance

An 10 n° 1478

Noël Etienne, 4 mois

« plusieurs enfants »

« mizaire » décès mère récent

3Q 5 P.V

8 nivôse an 12

Cap Roch, 18 jours

« plusieurs enfants »

Mère abandonnée par son mari

E.C naissance

1838 n° 998

Lorphelin Jean, 5 ans et 10 mois

« plusieurs autres »

indigence

E.C naissance

1828 n° 568

Lucie Victoire,

1 mois

4

Mère décédée

3Q 10 P.V

22/11/1817

Albaze 1 an 2 mois

5 en bas âge

misère, mère décédée

EC naissance

1854 2 eme registre n° 227

Chazeaux Émilie, 3 ans

7 « la plupard en bas âge »

« impossible de pouvoir leurs donners besoin nésecaire » mère décédée, père veuf depuis 3 mois

EC naissance

1846 2 eme registre n° 299

Exemple d’abandons dans le cas de famille chargées d’enfants.


[1] A.M.O Registre d’état civil des naissances d’Orléans Auguste Théophile Lefèvre 1836 n° 518.

[2] A.M.O Registre d’état civil des naissances d’Orléans Etienne François Pointeau 1855 2 eme registre n° 338.

[3] A.M.O Registre d’état civil des naissances d’Orléans Georges Stanislas 1852 2 eme registre n° 227.

[4] A.M.O Registre d’état civil des naissances d’Orléans Emilie Chazeaux 1855 2 eme registre n° 117.

[5] A.M.O Registre d’état civil des naissances d’Orléans Louise Clairon 1855 2 eme registre n° 1245.

[6] E.C : registre d’état civil, P.V :  procès-verbal d’exposition.

 « cette malheureuse est sans ressource et sans famille dans le pays » [1]:  l’abandon d’enfant pour cause d’isolement familial.

 

 Comme Marie Thiebart, qualifiée de mendiante en 1824 lors de son accouchement, de nombreux pères et mères pauvres furent contraints de se séparer de leurs enfants du fait de l’impossibilité de soutien de la part de leurs parents décédés, âgés, malades ou indigents…

En 1821, l’accouchée Marie Augustine Prevot  « n’a aucune ressource et comme ne pouvant rien receuillir de ses père er mère, vu qils sont dans la plus grande indigence et quils sont âgés de soixante ans » se sépara de son nouveau-né Bruno.[2] En 1852, la grand-mère de Pascal  « malade et allitée de plus 22 ans » ne pouvait aucunement soutenir sa fille. [3]

Parfois, les solutions trouvées dans le cercle plus large de la famille n’étaient que transitoires. Ainsi, Marie Sophie Morges, déjà évoquée, âgée d’un an, fut exposée le 3 mai 1836 : « jusqu’ a ce moment étant elever par sa marraine que la mort lui a ravie sa mere étant dans l’impossibilité de la garder vue que yant dautre enfans très jeunes a elever et neatant soutenue de personne de sa famille » [4]

Les mères isolées étaient obligées de se placer ; trop pauvres pour payer une nourrice, l’abandon était leur seul recours comme le relataient des billets retrouvés auprès des enfants. En 1838, l’adjoint au maire d’Amilly attestait : « la fille Bordalou … ne possede à notre connaissance aucunt immeuble na aucun moyen pour pouvoir nourire son enfans elle n’est que simple journaliere sans aucun apui de sa famille elle est obligée de déposer son enfans à l’hospice pour son indigence »  [5]. La même année, son confrère de Sainte Geneviève établissait également un certificat d’indigence concernant Anne Laurent : « domestique… Est dans une parfaite indigence, qu’elle ne possède aucun bien ni meuble ni immeuble et qu’elle n’a ni père ni mère capable de la soutenir ces derniers étant décédés ».  [6]

Parfois, à un moment donné, la famille elle-même ne pouvait plus aider. Ainsi, en 1828, le curé d’Aulnay relatait la situation de Frédéric Barre, 3 jours et de sa mère  dans une lettre adressée à l’hospice d’Orléans :  « il va vous arriver d’ici un pauvre petit enfant né d’une fille imbécille qui est déjà tombée plusieurs fois dans ce malheur, elle vit chez sa sœur qui ne peut pourvoir à sa subsistance qu’en l’envoyant mendier, ce qui est la cause du crime qu’elle commet d’autant plus facilement qu’elle ne soupçonne pas malice et qu’elle ne pense pas aux conséquences : s’il était possible de la retirer dans votre maison et de l’occuper, vous arrêteriez par ce moyen de nouveaux crimes et Dieu serait moins offensé ; son beaufrère m’a prié de vous faire cette demande… ». [7]

Nous avons vu précédemment que des parents furent obligés d’exposer leurs enfants pour préserver leur honneur ou celui des familles. Or, on peut imaginer qu’un mariage ultérieur, le pardon des parents aurait pu favoriser la reprise des enfants ; en fait, nous n’avons pas repéré de telles situations. Dans le cas des abandons du fait de l’isolement et d’indigence, les chances de retour au sein de la cellule familiale semblent encore plus minces. 

 

 

« Ton père nous a abandonné mon cher ange » [8]: mères abandonées, enfants exposés.

 

Fréquemment, les mères des enfants exposés étaient seules : le plus souvent célibataires, mais parfois elles étaient mariées et délaissées par le conjoint. Les abandonnés étaient donc enfants légitimes et cet élément, important à l’époque, pouvait être noté dans les billets. Ainsi, la mère de Narcisse Otal, 2 mois, né à Paris précisait : « Mesieur les administrateurs que set enfant ais bien légitime de Jean Baptiste Etienne C et de elisabeth B, mais étant separé l’un de l’autre je suis trop affligé de tout cote ou je me trouve dans la peine de déposer mon enfant ». [9] En 1837, Josephine Habert  disposait de 3 billets : le premier était  un certificat établi à partir de son acte de  naissance, le second à partir de l’acte de mariage de ses parents, pour le troisième, la mère prit la plume : « Madame, jé le malheur dettre mariée legitimement et je le malheur dabandonné ma cherre fille de 19 mois me trouvan Dans la mendicité et sans ouvrage » et signa « femme abandonné de Jacques aberre [???] Rosignaule » [10]

Au cours de la période 1794-1856, nous avons repéré 13 cas de séparation de couple, pouvant plus ou moins expliquer l’abandon des enfants qui étaient plutôt jeunes : sur les 13 concernés, 7 étaient âgés de moins d’un mois ; le plus jeune avait 1 jour, le plus vieux 14 mois.

Bien évidemment, ce furent majoritairement les pères qui quittèrent le foyer et les mères qui se retrouvèrent seules avec la progéniture. Cependant, pour un couple, ce fut le contraire. Et, en 1807, Alexandre, 2 mois, fut exposé par son père, Etienne Gacons qui défendait de le remettre à son épouse : « Etienne Gacons consan remetres sons enfans a lopitale faute d’avoir son épouse le 8 décembre 1807 Simon épouse reviens du pays il ne fault pas lui donner entendu quel nets pas en pouvoir de lelever .» [11]

Nous n’avons pas d’indication sur le délai entre le départ du conjoint et l’exposition au tour. Mais au vu de l’âge des enfants, nous pouvons penser que la rupture conjugale survenait peu temps après l’accouchement. En 1840, Elisa Caroline Birre fut admise à l’âge de 26 jours ; sa mère expliquait avoir été « abandonné aubout de 8 jours de Chouches n’ayant que mes bras pour nourir un enfant que je ne peut nourrir De mon Sain et un de Cinq ans et Demi n’ayant ni asile ny et ny lit puisque le malheureux m a abandonne en me laissant toutes les Dettes à payez que j’ai été aubligée de laissez tou ce que j’avais les payez » [12]

En quittant le foyer, le mari laissait son épouse désemparée, seule face aux difficultés : « indigence », « sans ouvrage » « maladie » et la contraignait à l’abandon de leur enfant. Ainsi, le billet trouvé auprès de Jeanne Marguerite Lecru, âgée d’un  jour la présentait comme « Enfant d’une malheureuse femme délaissé par son mari et dans la plus grande misère ».

Parmi toutes ces épouses délaissées, une semble avoir choisi de réagir : la mère de Roch Cap, né à Briarre le 16 août 1838 et abandonné à Orléans, âgé de 18 jours. Son père, 38 ans, voiturier sur terre, était déjà noté absent sur l’acte de naissance de leur enfant. Sur le billet retrouvé auprès de Roch, sa mère, Véronique Renard, écrivait : « sai sa povre maire quelle vous parlle qui est obllige dalle alla Suitte de son mari quilla abandonne aveque plusieurs anfant sequille moblige dans nabandonne un autre pour un pouis dettant  … ile est enfant legittime et ile porte le no De so malheureux paire Roque Cap. » [13]

 

La mort parentale pour cause de l’exposition de l’enfant. 

 

Nous l’avons constaté à plusieurs reprises, les raisons de l’abandon sont multiples avec souvent un facteur déclenchant :généralement, le décès d’un parent qui venait alors aggraver une situation familiale déjà précaire (indigence, maladie, isolement).

Pour la période considérée (an 3-1856) nous avons repéré :

  • 31 situations avec décès de la mère
  • 12 situations avec décès du père
  • 17 enfants orphelins.

« j’ai perdu ma mère peu de jours après ma naissance ».[14]

 

Nous avons déjà évoqué le Sieur Ducreux, qui, à la mort de sa femme, choisit d’abandonner ses  trois plus jeunes enfants et garder auprès de lui les plus vieux. En effet, le veuf, qui devait par ailleurs continuer à travailler (voire mendier) pour subvenir aux besoins de sa progéniture, se trouvait démuni face à la prise en charge d’enfant en bas âge, éventuellement d’un nouveau-né quand la mère n’avait pas survécu à son accouchement ; il devait trouver une nourrice et généralement, il ne pouvait pas compter sur ses proches. Ainsi, le billet qui accompagnait Sophie Euphrasine, 15 jours, expliquait en 1816 : « sais tune enfant légitime que sa mère est morte en couche ».[15]

En 1818, l’auteur du billet donnait la parole à Rosalie, 10 jours : « j’ai perdu ma mère peu de jours après ma naissance ».[16]  Au total, nous avons repéré 5 écrits (billet, certificat d’indigence) indiquant explicitement que la mère était décédée des suites de son accouchement : dystocie, hémorragie, infection puerpérale, cela était fréquent au XIXème siècle.

Quant à Thomas, exposé à l’âge de 5 mois, le procès-verbal d’exposition nous apprend que la famille Meton fut confrontée au même drame, en 1829. En effet, sa mère, Vrine Joanneau  33 ans, décéda le 9 juin, [17]elle avait donné naissance 4 jours auparavant à des jumeaux : Jacques et Thomas qui, seul, fut abandonné par leur père « denue de toutes ressources »  Son frère était mort avant l’exposition, 8 jours après sa naissance[18] ; s’il avait survécu, il aurait sans doute connu le même sort.[19] On imagine aisément les difficultés auxquelles dut faire face leur père, un journalier : prendre en charge 2 nouveau-nés (vraisemblablement fragiles, prématurés, hypotrophes, voire ayant souffert au cours de l’accouchement), trouver et rémunérer une nourrice. Malgré cela, il parvint à s’occuper de Thomas pendant quelques mois.

 

« enfant de femme veuve depuis six mois ».[20]

 

Veuves, les femmes souvent chargées de famille se retrouvaient sans ressource et contraintes à l’abandon. En 1814, à la mort de son mari « militaire Pensionné décédé il y a huit jours » Marguerite Foucher, mère de 3 enfants « étant dans les dernières Misére n’ayant absolument aucun Moyen d’existance desirerait faire entrer à l’hospice d’Orleans celui de ses enfants du sexe feminin », la petite Marguerite Abala, 3 ans et demi.[21]

En 1836, à la suite du décès de son conjoint, Michel Lefevre survenu le 31 janvier, Françoise Dufié « été Dans la plus affreuse indigence, qu’elle a trois enfans une fille de sept ans, un garçon de deux ans edemie et Son dernier Dont elle a accouchéé quelques jours après la mort De son mari » [22]exposait, le 7 mai, Auguste Théophile, 3 mois.

Contrairement aux mères où nous avons parfois une indication sur les causes de leur mort (6 décès en couches sur 31 situations), pour les 12 pères défunts, nous n’avons retrouvé qu’une seule mention de la cause du décès. Ainsi, Louis Alphonse 5 ans « ayant perdu son père a la guerre qui a été tué »[23] fut abandonné le 17 prairial an 9 avec sa sœur Anne Sophie 3 ans et son frère Louis Pierre 9 ans. En apportant cette information, le rédacteur du billet souhaitait-il recommander plus particulièrement cet enfant dont le père était mort pour la patrie, obtenir la bienveillance des personnes qui désormais allaient s’occuper de lui, le singulariser parmi les très nombreux abandonnés ?

Des veuves tentèrent de conserver auprès d’elles leurs enfants, mais furent obligées de s’en séparer au bout de quelques mois. Ainsi, Marie Victoire, 6 mois, fut placée en 1815 car « enfant de femme veuve depuis six mois ».[24] En 1846, Marie Lebert fut exposée à l’âge de 6 mois ; sa mère, Marie journalière était veuve depuis un an.

En 1829, la mère de Etienne Isidore, enfant légitime âgé de 15 mois, se retrouvait « cen resource de donner lexistance a son ansfans et les hala charge de plusieurs autres ansfans » décida de quitter Orléans pour trouver du travail : « la mère n’est plus à Orleans vue les maleur quel eprouve et eta levoire cit elle trouverai dans une autres androit pour pouvoire gaugner sat vie et a ses ansfans mes elle espérer que… Dieux luit luit fait la grâce de gagner sat vie quel reviendera réclamer son anfans » [25]

 

[1] A.M.O Registre d’état civil des naissances d’Orléans Pilion Jean 1824 n° 572.

[2] A.M.O Registre d’état civil des naissances d’Orléans Bruno Colte 1821 n° 1160.

[3] A.M.O Registre d’état civil des naissances d’Orléans Pascal Terrade 1855 2 eme registre n° 173.

[4] A.M.O Registre d’état civil des naissances d’Orléans Sophie Morges 1836 n° 503.

[5] A.M.O Registre d’état civil des naissances d’Orléans Jean Pierre Désiré Bordelou 1838 n° 564.

[6] A.M.O Registre d’état civil des naissances d’Orléans Isoline Virginie Laurent 1838 n° 1197.

[7] A.M.O Registre d’état civil des naissances d’Orléans Frédéric Barre 1828 n°244.

[8] A.M.O Registre d’état civil des naissances d’Orléans Edouard Plisson 1855 2 eme registre n° 233.

[9] A.M.O Registre d’état civil des naissances d’Orléans Narcisse Otal 1825 n° 77.

[10] A.M.O Registre d’état civil des naissances d’Orléans Joséphine Habert 1837 n° 511.

[11] A.M.O 3Q 6 Procès-verbal d’exposition d’Alexandre Gacons 9/12/1807.

[12] A.M.O Registre d’état civil des naissances d’Orléans Elisa Birre 1840 n° 905.

[13] A.M.O Registre d’état civil des naissances d’Orléans Roch Cap 1838 n° 988.

[14] A.M.O 3Q 10 procès-verbal d’exposition de Rosalie Célestine Adélaïde Lalomert   2/11/1818.

[15] A.M.O. 3Q 9 procès-verbal d’exposition de Sophie Euphrasine Cheneve 19/07/1816.

[16] A.M.O 3Q 10 procès-verbal d’exposition de Rosalie Célestine Adélaïde Lalomert   2/11/1818.

[17] A.M.O, Registre d’état civil des décès de Vieilles-Maisons 1829 n°9.

[18] A.M.O, Registre d’état civil des décès de Vieilles-Maisons 1829  n°10.

[19] A.M.O Registre d’état civil des naissances d’Orléans Thomas Meton 1829 n°1013.

[20] A.M.O 3Q 9 procès-verbal d’exposition  28/02/1815.

[21] A.M.O 3Q 9 procès-verbal d’exposition Marguerite Abala de 04/05/1814.

[22] A.M.O Registre d’état civil des naissances d’Orléans Auguste Théophile Lefevre 1836 n° 518.

[23] A.M.O 3Q 5 Louis Alphonse Fridy 17 prairial an 9 (6/6/1801)

[24] A.M.O 3Q 9 procès-verbal d’exposition de ?? 28/02/1815

[25] A.M.O Registre d’état civil des naissances d’Orléans Etienne Isidore Quibon 1829 n° 510.

« mon pere et ma mere sont morts dans le courant de cette année ».[1] : orphelins de père et de mère.

 

Les enfants orphelins étaient admis à l’hospice parfois dès le décès du parent comme la petite Evelina Augustine, 6 mois « sa mère vient de mourir elle est orpheline » précisait son billet en 1847. [2]D’autres enfants furent dans un 1er temps pris en charge par des tiers qui, eux-mêmes dans une situation précaire, finirent par les remettre à l’hospice : ainsi, Pierre Florent, 4 mois, exposé en l’An 12 : « son père et sa mère étant mort la misère de ceux qui en étaient chargés l’a fait eseposer » [3] ou Silvine en juillet 1813 :  « Abbandonnée a la merci des honnête gens, mon pere et ma mere sont morts dans le courant de cette année ».[4] En 1844, Jean Michel,1 an fut exposé par son parrain comme le relatait le billet : « L’impossibilité du parin de pouvoir garder l’enfant par cause de maladie et point marie, loge  chez un simple individu ». [5] Nous ignorons pendant combien de temps ce jeune enfant resta auprès de son parrain.

De même, nous ne savons pas le délai écoulé entre la mort du parent et l’admission à l’hospice. Sur les 17 orphelins, nous connaissons leur âge à l’admission pour 16 d’entre eux. La plus jeune, Lucie Victoire avait 1 mois en 1817 ; le plus vieux, Auguste 7 ans en 1814. Cinq orphelins n’avaient pas encore atteint l’âge d’un an.

 

La maladie à l’origine de l’abandon.

 

Des parents malades.

 

« Ma mère est morte et mon père est très malade et voila pourquoi on a pris la resolution de m’exposer » expliquait Narcisse Eugène en 1840. [6]Au cours de la période étudiée (an 3 -1856), nous avons repéré 34 situations où la maladie du parent était évoquée comme raison de l’abandon : pathologie maternelle dans 22 cas, pathologie paternelle dans 11 cas. En 1838, le billet retrouvé auprès de Adélaïde Jorar âgée d’un an et 7 mois ne précisait pas qui était souffrant : « les parans lespose qua vec gran peine et gran deulle de n es pas pouvoir susité au besoin de l’enfant et par accablement de maladit …. » [7]  Il y a effectivement quelques couples. Nous avons déjà évoqué la famille Gouberville qui exposa des jumeaux âgés de 21 mois, mais aussi, Alphonse Leon, un mois et 10 jours qui fut confié, car sa mère et lui-même étaient malades.  « Ges fait tous ce qui jas pu pour leleve maintenant, mais dans l’impossibilité de le faire et tamp san Ouvrage et malade moi-même. »   [8] Mais, dans la plupart des cas, l’abandonné était issu d’une famille monoparentale pour reprendre un terme actuel. Les mères rencontrées étaient célibataires à l’exception cependant, de celle mère de Jacques Jérome Sylvain, 4 mois, un tiers  expliquait qu’elle  : « avait toute la maillieur vollonté de le garder, mais une maladie grave la retire à lhôtel Dieu et son mari est éloigné du pay el pri les cherre Sœur de lui conserverre son cher enfant jusque son épox revienne siel meurt le le double de ceci ets an mains… » [9]

 Les pères malades étaient veufs. Nous avons déjà cité la famille Ducreux où le père abandonna en l’an 10 ses plus jeunes enfants : Pierre 5 ans et Jean 3 ans et conserva auprès de lui les 3 plus vieux. En 1848, un enfant de 4 ans, Pierre se retrouvait : « sans père ni mère. Le père est a lhopital pour cause de maladie sa merre est aretée au depot de mendicité » [10]

En général, la maladie n’était pas précisée. On peut penser qu’à l’époque faire un diagnostic n’était pas habituel. Cependant, certains auteurs de billet insistaient sur la gravité de la maladie ; nous l’avons vu pour la mère du petit Jacques Jérôme qui envisageait une issue fatale à sa maladie, mais aussi pour Alexandrine Poussin, 3 jours, dont « la mère est dangereusement malade ». [11] Parfois, ils indiquaient une durée ; ainsi, Narcisse Loynes, 8 mois était exposé car « la maire etant en maison el est malade depuis trois mois … » [12] Parfois, le terme « infirmité » était employé pour qualifier l’état de santé du parent. En 1836, le maire de Marcilly en Villette établissait un certificat concernant Marie Picard, 6 semaines : « (le père) indigent, la mère infirme genre de maladie nommée Epilepsie et dont on craint l’etouffement de son enfant lorsquelle tombe malheureusement où elle se trouve. » [13] En 1847, dans un courrier au préfet, les administrateurs de l’hôpital décrivaient très précisément le handicap dont souffrait la mère de Marie Adolphine, 4 mois : « cette malheureuse femme malgré sa grande jeunesse marchait avec deux béquilles et semblait paralyse de tout le côté droit ». Cette femme, Adolphine Joséphine Buchet veuve Tissier, indigente avait dans un 1er temps tenté de confier sa fille à l’hôpital d’Orléans ce qui lui fut refusé, car elle était originaire de La Motte Beuvron. Mais, finalement, la petite fut admise, car retrouvée dans le tour.  

Parmi les 21 enfants dont nous connaissons l’âge lors du placement pour cause de pathologie maternelle, 1 était qualifié de nouveau-né et 8 avaient moins d’un mois. Nous pouvons nous interroger leurs mères souffraient-elles d’une pathologie liée à leur grossesse ou accouchement récents ? Pour Adolphe Rimbert, né à la maternité en janvier 1851, l’hypothèse semble avérée. Il fut admis parmi les enfants abandonnés à 16 jours et sa mère : «  … s’est en allé de la maternité dangereusement malade que le médecin n’en donne aucune Espoir…. ». [14] En recherchant dans les registres d’état civil, nous avons constaté que, finalement, l’accouchée survécut ; elle se maria en 1855 et le petit Adolphe fut alors légitimé et prit le nom de Tourne. Nous ne savons pas à quelle date il fut repris par sa mère.

 De même, en 1829, la mère de Charles Bouart, 15 mois, écrivait : « je suis minttenant mallade a l’hospice d’Orleans d’une suite de couche je suis dans la salle neuve. » [15]Au vu de l’âge de l’abandonné, on peut penser que cette hospitalisation était liée à la naissance d’un autre enfant (vivant ?) ou à une fausse couche.

Enfin, en 1832, Armand Honore, 26 jours, était exposé, car son père était « indigent, infirme » et sa mère « décédé des suites de couches de l’enfant ».[16]

Nous venons de le voir le père ou la mère pouvait être gravement malade ou infirme sans espoir d’amélioration. Cependant, parfois, la pathologie était bénigne ou considérée comme telle ; les parents n’envisageaient alors qu’un placement provisoire et projetaient un retour au sein de la famille dès leur guérison comme indiqué en 1817 sur le billet de Adélaïde Florine, 20 mois « quand sa mère sera rétabli » [1]ou sur celui de Simon Auguste Cavore, 15 mois, l’année suivante : « je suis malade Je promes sito ma guérison le retiré. » [2]Le père de Julie Anne Emelie, déjà citée, le sieur Louis Picard, le mari de la femme épileptique, demandait précisément : « le placement de son enfant pendant cinq années se au bou desquelles il la retirerait chez lui. » [3] Rappelons que la petite Julie avait 6 semaines quand elle fut accueillie à l’hôpital d’Orléans. Indigent, sans doute espérait-il une amélioration de sa situation et reprendre une enfant plus autonome ?

Nous ignorons si tous ces enfants purent retourner auprès de leurs familles.

Nous l’avons déjà expliqué les raisons de l’abandon étaient multifactorielles. L’altération de la santé du père ou de la mère ne justifiait pas toujours à elle seule l’exposition de l’enfant. Souvent, à la maladie s’ajoutaient l’isolement du parent souffrant (veuvage, absence de soutien familial), l’indigence, le chômage dû à une incapacité de travailler. Nous l’avons vu précédemment pour la famille Goberville (le père journalier, malade était sans ouvrage, sans ressource), mais aussi pour les parents de Pierre Poulin son père étant hospitalisé et mère se trouvant au dépôt de mendicité.[4]  Enfin, le coût des soins pouvait aussi aggraver une situation financière précaire comme l’expliquait en 1847, la mère de Paul Lardillev : « Je suis sortie d’une maladie qui fet mettre beaucoup dargans. » [5]

Enfants malades abandonnés.

 

Pour la période concernée an3 -1856, nous avons retrouvé 13 situations où l’abandon était justifié ou semble s’expliquer par le mauvais état de santé des enfants. En général, les abandonnés étaient déjà grands : 8 d’entre eux avaient un an ou plus (61,5%).  Faustin, 10 ans, est l’ainé et présentait un handicap il « ne fait que voire et entendre, ils faut le faire Manger lui mettre dans la bouche soit de la Soupe ou de la mie de pain …ils na pas le Mouvement de la Mâchoire libre ils ayant pus macher La Croute de pain ils avale la nourriture celle qu’on lui met dans la bouche… le faire boire et Manger trois fois le jour… nous avons soin de l’attacher avec sa Bretelle dans sa chaise » . [6] Comme pour Antoinette, âgée de 2 ans et 4 mois, exposée en 1817 « par son infirmité »[7], les parents semblaient attendre avant de se résoudre à la séparation : le temps de comprendre que le handicap de leurs enfants était définitif ? le temps de constater qu’ils ne pouvaient plus s’en occuper ? Ainsi, en 1818, Alban fut abandonné à 21 mois « ne marchan pas dentou »[8] ; on peut imaginer que ses parents pensaient qu’il finirait par acquérir la marche même tardivement et, in fine, à plus de 2 ans, ils perdirent espoir et peut-être qu’ils n’étaient plus en mesure de lui prodiguer le soutien et l’attention dont il avait alors besoin. Pour Lucie Clairon, 4 ans, dont nous avons déjà parlé, ce fut son épilepsie qui fut la cause de l’exposition. On imagine que ses père et mère, qui avaient déjà « trois autres enfant en bas âge » ne pouvaient plus continuellement la surveiller pour éviter « les accident que peut occasionner cette maladie terrible. »  [9]A l’opposé, Victor fut abandonné à 5 mois : « on le croit aveugle » était noté sur son billet. [10]Certes, on note une hésitation « on le croit ». Mais, cependant, ses parents prirent leur décision assez rapidement, avant la marche, vraisemblablement conscients des difficultés futures de prise en charge au quotidien d’un petit enfant dépendant. Dans d’autres cas, parce qu’ils étaient dans l’incapacité de soigner leurs enfants, souvent plus jeunes, des parents décidèrent de les confier à l’hospice. Envisageaient-ils alors un placement temporaire uniquement pendant les soins avec retour dans la famille à la guérison. En 1853, la mère d’Adrienne, un mois expliquait : « Chère sœur, je vous confine mon enfant bien malade ». [11]Et, on peut imaginer la même chose pour Pierre Jules, 1 an, souffrant de « maladie de caro »[12] et pour Céleste, 7 mois, dont la mère écrivait :  « je l’envoi car je suis Dans l’impossibilité de lelever pour le moment d’ailleurs il est très incomodé je crois quétant chez vous l’on pourra lui faire une certaine operation Dans quelque temps je vous le demanderait » [13]

« Le second billet constate l’indigence et l’imbecilite de la mère de l’enfant » [14] : enfants placés du fait de pathologies psychiatriques ou déficiences intellectuelles de leurs mères.

 

Nous avons vu précédemment que des enfants furent abandonnés, car leurs parents étaient « malades » ou « infirmes ». D’autres furent exposés, car leurs mères souffraient de pathologies psychiatriques ou présentaient des déficiences intellectuelles, selon la terminologie actuelle. Sur la période 1818 - 1853, les maires ou les prêtres qui rédigèrent les billets, s’exprimaient bien sûr différemment et ils employaient les mots suivants pour qualifier les 8 mères concernées (7 célibataires et 1 seule mariée) :

- « imbécillité » : terme utilisé à 3 reprises

- « état moral »

- « aliéné d’esprit »

- « un peu faible d’esprit »

- « presque idiote »

- « état d’aliénation complette ».

En général, l’accueil à l’hospice se faisait rapidement après la naissance. En effet, parmi les 8 abandonnés, nous comptons : 2 nouveau-nés, 2 enfants de moins d’une semaine, 2 filles âgées de respectivement 28 jours et 1 mois. Cette précipitation s’expliquait sans doute par la pathologie mentale de leurs mères qui étaient incapables de les prendre en charge. Dans 2 cas, des maires ajoutèrent des commentaires à leur certificat sans doute pour montrer l’urgence de la situation. Ainsi, en 1832, l’édile de Vitry aux Loges sollicitait l’admission du nouveau-né, Jules Chainay afin de « lui faire donner les soins et secours dont il a un pressant besoin et sans lesquels il est presque certain qu’il cesserait bientôt d’exister … » et précisait que sa mère : « fille Chainay [était] un peu faible d’esprit. » [15] En 1853, son confrère de La Chapelle sur Aveyron écrivait au sujet de la mère de Gabriel Lamy, 2 jours : « Augustine Lamy, fille mère de l’enfant est plongée dans la plus grande misère, étant orpheline et dénuée de tout secours. En conséquence, je prie l’administration de vouloir bien recevoir son fils qui ne pourrait être que malheureux en restant à la charge d’une mère presque idiote. » [16] Deux enfants restèrent plus longtemps auprès de leur mère : Jacques Prosper Voisy fut abandonné en 1822 à l’âge de 7 mois et Louis Désiré Stobe en 1833 à 8 mois. La mère du premier, Victoire Blondeau ne pouvait « même à raison de son état moral procurer l’élève de l’enfant mâle dont elle est accouchée il y a environ six mois ».[17] On peut imaginer que, souffrant de dépression (si le diagnostic est exact), elle pouvait cependant s’occuper de son nourrisson pendant les premiers mois. Sa pauvreté « la plus extrême indigence » fut sans doute un autre motif de placement. Pour le second, Louis Désiré, « la grande misère de son père et sa mère qui est en état d’aliénation complette necessite cette dure resolution ». [18]On peut penser que son père ait pu prendre soin de lui en cas de déficience maternelle, mais la pauvreté l’obligea à l’abandonner. Pour ces 2 garçons, plus ou autant que la pathologie mentale, ce fut sans doute les difficultés financières qui contraignirent les parents à la séparation.

 

Marie-Françoise et Frédéric : enfants du handicap mental et de la misère.

 

En 1816 puis en 1828, 2 enfants furent abandonnés pour des motifs analogues. En effet, à l’indigence de leur mère s’ajoutaient le handicap mental, la vulnérabilité de cette dernière et l’impossibilité pour la famille maternelle également pauvre de se substituer à elle.  Ainsi, Marie-Françoise Dousinot avait un mois le 13 août 1818 lors de son admission à la crèche d’Orléans, elle était la fille de Marie Françoise Dousinot,  30 ans, domicilièe à Loury . Le billet retrouvé sur son estomac, rédigé par le maire de sa commune précisait : «  La mere de cette enfant  est une imbèsille, et mandie son pain, agé de environ trante ; la mère de cette imbésille est agé de soixante quatre ans et mandie ausy son pain, voila toutes les resources que ce nouveau né peut avoi. Déclaration qui m’a été faite le cinq juillet présente année par la mère de cette fille imbésille : elle me dit je vien vous annoncer que aujourd’hui m »’a file imbesille est accouché de un enfant de sexe féminin. Je lui et demandé comment cette enfant lui était parvenu, elle m’a répondu que du régne que nous avions connu les bavarois au cantonnement, elle allait comme à son ordinaire cherché son pain, fait rencontre dans notre vignoble de cinq bavarois qui manjait du résins lesquels le lontes ? arraité et lont viollée … » [1]

En 1828, Frédéric Barré avait 3 jours et le curé d’Aulnay relatait ainsi la situation de sa famille tout aussi dramatique : « il va vous arriver d’ici un jour un pauvre petit enfant né d’une fille imbécille qui est déjà tombée plusieurs fois dans ce malheur, elle est chez sa sœur qui ne peut pouvoir à sa subsistance qu’en l’envoyant mendier ce qui est cause du crime qu’elle commez d’autant plus facilement qu’elle ne soupçonne pas malice et qu’elle ne pense pas aux conséquence » [2]. Dans les deux cas, la décision d’abandon semble avoir été prise par la famille et la remise de l’enfant à la crèche fut effectuée, pour la petite fille, par une tante et, pour le nouveau-né, par un oncle qui fut d’ailleurs contraint d’emprunter pour financer le voyage. La mère était Barré Marie Victoire, une  journalière Aulnay La Rivière

Les mères qualifiées d’imbéciles selon le terme de l’époque étaient-elles en mesure de donner leur avis ? Leur avait-on demandé leur accord avant d’emmener leur enfant ? Elles étaient sans doute incapables de travailler et ne pouvaient pas participer à l’économie familiale. Leur handicap et leur errance pour mendier faisaient d’elles des proies faciles. Dans les deux cas, les rapports sexuels n’étaient pas consentis : le viol est énoncé pour l’une et pour l’autre, son manque de discernement est noté.  Pour la mère de Frédéric, la famille fit une demande peu habituelle par l’entremise du prêtre : « s’il était possible de la retirer dans votre maison et de l’occuper vous arrêteriez par ce moyen de nouveaux crimes et Dieu serait moins offensé, son Beau-frère m’a prié de vous faire cette demande pour soulager sa misère et pour contenir cette fille. » [3] Il est à noter que cet enfant fut confié dès sa naissance. La famille avait-elle déjà été confrontée à d’autres grossesses ?

Quant à Marie-Françoise, née et   baptisée le 5 juillet, elle   fut admise à 13 août 1818 à l’âge de 5 semaines : la famille   avait- elle tenté pendant ce laps de temps de s’en occuper avant de s’en séparer faute de ressources (la mère, la grand-mère, la tante étaient des mendiantes) ?, d’autant que la mère « imbesille » n’était sans doute capable de lui prodiguer les soins nécessaires.

 

Enfants abandonnés car issus de viols.

 

La situation de Marie Françoise Dousinot et peut-être celle de Marie Victoire Barre que l’on vient d’évoquer nous amène à évoquer le cas des enfants ayant pu être abandonnés, car issus de viols. Isabelle Le Boulanger évoque de telles situations : « les naissances engendrées à l’occasion d’un viol doivent rester secrètes, les enfants étant plus que les autres, destinés à l’abandon ». [4]

Au XIX e siècle, le viol était bien sûr perçu comme un acte violent à l’encontre d’une femme, mais aussi comme une atteinte à l’honneur de sa famille. Pour préserver le secret et ainsi éviter la stigmatisation de la victime considérée comme partiellement responsable et par la suite difficile à marier, ce crime donnait souvent lieu à un dédommagement financier de la part de l’agresseur. Les agressées étaient généralement des pauvresses : domestiques, journalières, déficientes intellectuelles: personnes très vulnérables, proies faciles qui acceptaient facilement des transactions financières et ne portaient pas plainte.

 

« la mère, ne pouvant plus satisfaire aux mois de nourrices, je me trouve obligée de l’exposer a la maison de bienfaisance » [5] 

 

Dans notre recensement des causes d’abandon, nous avons relevé quelques autres situations certes marginales, la plus présente est l’abandon pour non-paiement des mois de nourrices. Cette situation est intéressante, car l’exposition est le fait des nourrices et non des parents. Ces dernières voyant les arriérés de rétribution s’accumuler, sans nouvelles des parents et confrontées à leurs propres difficultés prenaient la décision de déposer l’enfant au tour. Nous avons déjà évoqué cette situation dans la contribution intitulée : Des enfants abandonnés sur la voie publique, des orphelins, des enfants placés. [6] Nous publions quelques autres exemples. Les deux premiers illustrent la situation décrite ci-dessus. Dans le troisième, il apparaît que l’enfant fut exposé deux fois, d’abord par sa mère puis retiré, il le fut à nouveau par la nourrice. Notons que dans ce cas la mère est à Paris. Il en est de même pour le quatrième extrait. Nous avons retrouvé la situation décrite par ce billet plusieurs fois entre 1847 et 1853.

 

[1] A.M.O 3Q 10 Procès-verbal d’exposition de Marie Françoise Dousinot 13/8/1816.

[2] A.M.O Registre d’état civil des naissances d’Orléans Frédéric Barré 1828 n° 244.

[3] ibid

[4] Le Boulanger, Isabelle, L’abandon d’enfants. L’exemple des Côtes-du-Nord au XIXe siècle. Presses universitaires de Rennes, 2011. p.92.

[5] A.M.O Registre d’état civil des naissances d’Orléans Etienne Désiré Tocop 1819 n°143.

[6] Chapitre : Des nourrices non payées.

 

[1] A.M.O 3Q 10 procès-verbal d’exposition de François Simon Rebard 22/2/1817.

[2] A.M.O 3Q 10 procès-verbal d’exposition de Simon Auguste Cavore 7/4/1818.

[3] A.M.O, registre d’état civil des naissances d’Orléans Julie Anne Emelie Picard 1851 n°1067.

[4] A.M.O registre d’état civil des naissances d’Orléans Pierre Poulin 1848 2 eme registre n°21.

[5] A.M.O registre d’état civil des naissances d’Orléans Paul Lardillev 1847 2 eme registre n°271.

[6]  A.M.O 3Q 9 registre d’état civil des naissances d’Orléans Augustin Faustin 1816 n° 1063.

[7] A.M.O 3Q 10 Procès-verbal d’exposition d’Antoinette Caroline Gebade. 25/4/1817.

[8] A.M.O 3Q 10 Procès-verbal d’exposition d’Albin Gimarade 25/06/1818.

[9] A.M.O Registre d’état civil des naissances d’Orléans Louise Clairon 1855 2 eme registre n° 1245.

[10] A.M.O Registre d’état civil des naissances d’Orléans Victor Villebon 1843 2 eme registre n°271.

[11] A.M.O Registre d’état civil des naissances d’Orléans Adrienne Gennaut 1853 2 eme registre n°216.

[12] A.M.O 3Q 10 Procès-verbal d’exposition de Pierre Jules Cernin 19/05/1817.

[13] A.M.O Registre d’état civil des naissances d’Orléans Céleste Guérot 1850 2 eme registre n°234.

[14] A.M.O Registre d’état civil des naissances d’Orléans Anne Sophie Lottier 1840 n°932.

[15] A.M.O Registre d’état civil des naissances d’Orléans Chainay Jules 1832 n°432.

[16] A.M.O Registre d’état civil des naissances d’Orléans Gabriel Lamy 1853 2 eme registre n°208.

[17] A.M.O Registre d’état civil des naissances d’Orléans Jacques Prosper Voisy 1822 n°1127.

[18] A.M.O Registre d’état civil des naissances d’Orléans Louis Désiré Strobe 1833 n°314.


[1] A.M.O. 3Q 8 procès-verbal d’exposition de Silvine Brossamain 05/07/1817

[2] A.M.O, Registre d’état civil des naissances d’Orléans Evelina Augustine 1847 2 eme registre n° 548.

[3] A.M.O 3Q 5 procès-verbal d’exposition de ? 27 messidor an 12

[4] A.M.O. 3Q 8 procès-verbal d’exposition Silvine Brossamain 05/07/1817

[5] A.M.O, Registre d’état civil des naissances d’Orléans Jean Michel Cregut  1844 2 eme registre n° 149.

[6] A.M.O, registre d’état civil des naissances d’Orléans Eugène Narcisse Doucet 1840 n°495.

[7] A.M.O, registre d’état civil des naissances d’Orléans Adelaïde Jorar 1838 n°174.

[8] A.M.O, registre d’état civil des naissances d’Orléans Alphonse Léon Lanier 1849 2 eme registre n°164.

[9] A.M.O, registre d’état civil des naissances Jacques Jérôme Sylvain 1831 n°926.

[10] A.M.O, registre d’état civil des naissances d’Orléans Pierre Poulin 1848 2 eme registre n°21.

[11] A.M.O, registre d’état civil des naissances d’Orléans Poussin Alexandrine 1847 2 eme registre n°223.

[12] A.M.O, registre d’état civil des naissances d’Orléans Narcisse Loynes 1830 n°1007.

[13] A.M.O, registre d’état civil des naissances d’Orléans Julie Anne Emelie Picard 1851 n°1067.

[14] A.M.O, registre d’état civil des naissances d’Orléans Alphonse Rimbert 1851 2 eme registre n°36.

[15] A.M.O, registre d’état civil des naissances d’Orléans Charles Bouard 1829 n°13.

[16] A.M.O registre d’état civil des naissances d’Orléans Armand Honoré Charrier 1832 n°669.

Abandonner son enfant : causes et justifications. Deuxième partie.

Naissance illégitime et abandon.

Nous avons passé en revue l’ensemble des causes avancées par les abandonneurs dans les billets. Un fait social doit néanmoins être évoqué : la naissance illégitime de l’abandonné. Il n’est pas présent directement dans les écrits sauf lorsque des parents revendiquent justement la légitimité de l’enfant, preuve s’il en fallait du caractère prégnant de ce fait.  Pour Isabelle Le Boulanger. « L’illégitimité est, incontestablement la cause majeure de  l’abandon, justifié par le souhait que l’enfant vive. Dans ce contexte, il s’inscrit comme un geste humain teinté d’une véritable affection, à défaut d’amour puisque les liens n’ont pas eu le temps de se tisser. » [1] En est-il de même pour Orléans et le Loiret, observons seulement qu’ils existaient des différences sociologiques entre la Bretagne et notre département d’étude. En d’autres termes, abandonnait -on plus facilement son enfant illégitime dans les campagnes bretonnes qu’à Orléans ? Nous ne sommes pas en mesure d’en juger. Nous nous contenterons, en nous appuyant sur les  écrits  de cette historienne, de présenter les facteurs conduisant un nombre conséquent de jeunes filles à abandonner les enfants nés de relation hors du mariage. Si la hantise de la grossesse existe et constitue un obstacle aux relations sexuelles, elle ne les empêche pas. La promiscuité au travail, le recul de l’âge au mariage ne facilitent pas la conservation de la virginité et l’abstinence. Céder à la tentation, à la pression de l’amoureux, à la promesse du mariage gage d’un avenir meilleur se comprend. « Faire miroiter ce devenir à deux peut être utilisé comme une arme de séduction peu loyaux, afin de convaincre la jeune fille récalcitrante de céder aux avances. »[2] Anne-Marie Sohn montre que les jeunes filles trompées sont : «  dans l’ordre , domestiques, ouvrières ou journalières agricoles. » [3] Ce sont les catégories professionnelles les plus présentes dans notre fichier de mères abandonneuses.  « La majorité de celles qui succombent et deviennent mères sont des filles naïves, vulnérables parce que peu instruites et isolées. » [4]C’est-à-dire le profil de nombre de femmes, originaires de la campagne et venues travailler à Orléans.

 

De la resposabilité des pères.

 

Il paraît difficile d’aborder l’abandon des enfants sans évoquer la responsabilité de leurs pères. Nous savons peu de choses sur les pères. « Ont-ils seulement connu leur paternité ? Il est permet d’en douter » répond Isabelle Le Boulanger. Les hommes possédaient la loi pour eux, la recherche en paternité étant interdite jusqu’en 1912. [5] Il était donc possible pour eux d’échapper aux conséquences d’une relation. De fait, la femme était la seule à assumer sa grossesse.

 

Etre fille-mère.

 

« Le terme de « fille-mère » est employé pendant tout le XIX eme siècle  pour désigner les femmes donnant naissance à un enfant hors du cadre du mariage. Sa connotation péjorative s’est accentuée pendant la première moitié de ce siècle, à mesure qu’augmentait le nombre des enfants abandonnés. »[6] Une grande solitude affective était le lot de ces femmes obligées de cacher leur grossesse à la campagne, bien sûr, mais aussi en ville lorsqu’elles sont domestiques par exemple. De surcroît, l’enfant illégitime risquait d’empêcher un futur mariage, « L’abandon est bien l’alternative la plus douce à l’exclusion sociale. » [7]

 

Les raisons de l’abandon : le discours des responsables loirétains.

 

Dans ce chapitre il ne s’agit pas de passer en revue les différents arguments échangés sur les raisons tant lors des débats parlementaires que dans diverses publications, mais simplement d’illustrer à travers quelques citations l’opinion de responsables locaux, politiques ou non impliqués dans le dossier. Pour cela, nous nous sommes appuyés sur les débats du Conseil général du Loiret.

Les points de vue, que nous connaissons n’ont pas été émis dans le cadre de débats sur le sujet, mais au cours d’échanges sur les causes de la mortalité sévissant dans la population des abandonnés ou sur l’opportunité de maintenir ou non le tour d’Orléans.

Irresponsabilité, illégitimité, immoralité, libertinage : des points de vue moralisateurs et stigmatisants.

 

En 1832, le préfet du Loiret, minimisant les causes économiques, mettait en avant la volonté des abandonneurs de confier à la société l’entretien de leurs enfants.

« Il est évident que l’abandon progressif des enfants à la charité publique n’est pas toujours déterminé par l’impossibilité absolue où se trouvent leurs familles de les élever. Au sortir des perturbations de notre première révolution, les classes populaires étaient loin d’être aussi aisées qu’elles le sont aujourd’hui et surtout qu’elles fussent en 1826 ou en 1827 […] Il est évident que les populations des classes inférieures, secouant de plus en plus d’honorables répugnances, désirent mettre à la charge du public la dépense de leurs enfants pour se l’épargner à elle-même. » [8]

En 1846, le docteur Jallon, membre de la commission travaillant sur les causes de la mortalité chez les les enfants abandonnés écrivait, dans son rapport lu en séance plénière, à propos de leur état de santé : « Produits ordinaires de la corruption des mœurs, ils sont, même avant leur naissance, saturés des vices que le libertinage a puisés à des sources impures … », il ajoutait « …la honte d’une maternité illicite ne tourmente plus guère. Les registres de l’Etat Civil et les déclarations des Ministres de la Religion constatent journellement que beaucoup d’enfants voient le jour, ou ne sont pas éloignés de le voir, avant l’autorisation des lois sociales et la sanction des sacrements du mariage » [9] Si les mères visées par le docteur Jallon appartenaient aux classes populaires, lors de la même session, le préfet n’épargnait pas : « « Les femmes, les filles de famille dont la réputation est compromise, et qui ne sont point dans l’indigence, ne doivent pas demander la charité publique les moyens de cacher leur faute et de nourrir l’enfant qui en est le fruit. Il est juste qu’elles expient cette faute par l’embarras de leur position, par des sacrifices d’amour-propre et

d’argent. Il ne faut pas ajouter les mépris des lois de la nature à l’inobservance des lois religieuses et civiles. » [10] En 1854, M. Chevrier, dans son rapport sur la situation du service des enfants trouvés déclarait : « Quelques filles-mères, un trop grand nombre d’entre elles viennent sans pudeur réclamer un secours qu’elles semblent croire dû aux conséquences de leurs désordres, et il en est qui ne rougiraient pas d’exiger, à chaque couche que leur mauvaise conduite a sollicitée, une augmentation de secours, en se faisant comme un titre de leur impudicité. » [11]

A la lecture de ces quelques citations, on ne peut que constater le fossé existant entre les raisons invoquées par les décideurs, jugeant l’acte d’abandon à travers des considérations morales, religieuses et les motifs au plus près de la vie quotidienne, avancés dans les billets.

Leurs  arguments relèvent le plus souvent de jugements moraux que d’une analyse impartiale de la situation de leurs familles. Il n’est pas fait référence aux conditions économiques poussant les parents à l’abandon. Néanmoins, on peut penser que les responsables politiques étaient conscients de l’importance de cet aspect. La mise en place de rétribution pour inciter les mères à garder leurs enfants en témoigne. L’image qu’ils donnent des abandonneurs est conforme à ceux existant dans la société à l’époque. Isabelle Le Boulanger écrit : « Pour les contemporains, il est convenu de penser que les enfants trouvés sont issus d’amours interdits et cette idée est confirmée par les sources. » [12]

Au-delà de leurs discours critiques envers les mères et ceux sur le coût financiers, on constate aussi que les préfets et les membres du Conseil général firent face à leurs obligations vis-à-vis des abandonnés, qu’ils s’agissent de préserver leur vie, de leur assurer l’accès aux soins médicaux, à l’instruction.

Conclusion.

De  cette description on peut tirer, nous semble-t-il, quelques enseignements. Tout d’abord l’abandon  a d’abord des raisons économiques, il est la conséquence de la précarité des classes populaires que la conjoncture a vite fait de plonger dans l’indigence, la misère voire pire. Il est aussi souvent multifactoriel, à la fragilité des ressources s’ajoutent souvent s’ajouter le décès, la maladie, cela est particulièrement vrai pour les couples mariés. L’abandon, est aussi le drame de l’isolement, de l’absence de soutien de famille, cela est particulièrement vrai pour toutes ces jeunes filles en situation de domesticité à Orléans, mais aussi à la campagne, loin de chez elles. Parmi elles se trouvent de nombreuses femmes séduites puis abandonnées. Enfin il faut bien aborder le problème de la prostitution régulière ou occasionnelle, Orléans outre qu’il s’agissait d’une grande ville, plus de 40 000 habitants, était un port fluvial possédant une population de mariniers de passage importante. Il est concevable que certains des enfants trouvés fussent ceux des filles-publiques comme on les appelait à l’époque. Nous avons travaillé sur les raisons de l’abandon figurant dans les billets, un panel, au demeurant réduit. Qu’en était-il des  autres ? On  peut légitimement penser que les justifications étudiées s’appliquaient aussi à eux. Reste que face à la masse des expositions, on peut s’interroger, l’ouverture des tours n’a-t-il pas provoqué un appel d’air, une banalisation du geste d’abandon , ce dernier n’était-il pas devenu une forme de contraception ?  Enfin nous proposons ces deux réflexions d’historien la première de Guy Florenty pour Nevers et seconde de François Langlois pour Caen.

« L'abandon procède généralement de la conjugaison des différents facteurs […] sans oublier l'inconscience et l'inconduite de certains parents. La misère n'explique et ne justifie pas tout ; quelques familles paraissent bénéficier d'une certaine aisance matérielle comme le laissent supposer l'importance et la variété de vêtements composant les trousseaux dont sont pourvus quelques enfants. En tout cas, pour beaucoup, l'admission à l'hospice constitue un indéniable gage d'atténuation des souffrances de l'enfant et une possibilité d'avenir meilleur. Qu'en pensent les victimes? Les sources sont malheureusement muettes même s'il est évident que l'abandon devait provoquer, notamment chez les enfants les plus âgés, un profond traumatisme psychologique, une blessure inguérissable. [13]

« Au terme de cet aperçu, il convient assurément de souligner la dimension collective des conduites face à l'abandon. De prime abord, on serait tenté de penser que l'acte d'abandon résultait d'une décision personnelle, traduisait des problèmes particuliers. Or, l'étude quantitative laisse entrevoir, après 1750, une croissance soudaine et continue. Voilà qui incline à penser que le phénomène s'inscrit aussi dans la trame des comportements collectifs, que le mimétisme joue, que l'abandon est banalisé. […] La fille mère liée à son travail se persuade facilement qu'elle ne peut faire autrement que d'abandonner son enfant. […] On n'abandonne pas son enfant pour qu'il meure, mais afin qu'il puisse vivre dans de meilleures conditions ; c'est un acte d'espoir, billets et remarques en témoignent. Cependant, sept fois sur dix, les délaissés disparaissent avant leur douzième anniversaire. »[14]

 

[1] Ibid. ; p.90.

[2] Ibid. ; p.91.

[3] Cité par Isabelle Le Boulanger, op.cit. ; note n° 2, p. 91.

[4] Ibid. ; p.91.

[5] « Loi Rivet du 16 novembre 1812 qui modifie l’article 340 du Code civil de 1804. » Isabelle  Le Boulanger Op.cit. ;  p 92.

[6] Isabelle  Le Boulanger Op.cit. ;  p 95.

[7] Ibid., p 96.

[8] Cette citation est tirée du mémoire de maîtrise de Creuzot C, Les enfants trouvés dans le Loiret au XIX e siècle 1810-1910 Paris 1988, AD 45 1Mi 1877. Ce dernier n’a pas indiqué la source de cette citation.

[9] A.D 45 PO53 1846. Rapport fait à la commission des enfants trouvés, 13/7/1846 in procès -verbal des séances du Conseil général du Loiret, session de 1846.

[10] A.D 45 PO53 1846. Procès -verbal des séances du Conseil général du Loiret, session de 1846.

[11] AD 45 PO 53 1852 Procès-verbaux des délibérations du Conseil général du Loiret session de 1852.

[12] Le Boulanger, Isabelle, L’abandon d’enfants. L’exemple des Côtes-du-Nord au XIXe siècle. Presses universitaires de Rennes, 2011 p. 90.

[13] Florenty Guy. Les abandons d'enfants à Nevers à la veille de la Révolution et dans les années 1820. In: Enfance abandonnée et société en Europe, XIVe-XXe siècle. Actes du colloque international de Rome (30 et 31 janvier 1987) Rome : École Française de Rome, 1991. pp. 609-634. (Publications de l'École française de Rome, 140); https://www.persee.fr/doc/efr_0000-0000_1991_act_140_1_4470

[14] Langlois François. Les enfants abandonnés à Caen, 1661-1820. In: Histoire, économie et société, 1987, 6e année, n°3. L'enfant abandonné. pp. 307-328; doi : https://doi.org/10.3406/hes.1987.1454 https://www.persee.fr/doc/hes_0752-5702_1987_num_6_3_1454

 

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Contributions à l'histoire de l'enfance aux XVIIIe et XIXe siècle
  • Intéressée par l’histoire, j’ai effectué, des recherches dans plusieurs services d’archives sur les thèmes de l’enfance, des sages-femmes. Vous trouverez dans ce blog les écrits rédigés à partir de ces recherches. N. Dejouy
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