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Contributions à l'histoire de l'enfance aux XVIIIe et XIXe siècle
22 décembre 2023

Le baptême : un thème récurrent des billets.

Entre l’an 3 et 1856, 58,1% des enfants furent retrouvés avec un billet. Fréquemment, l’auteur apportait des précisions concernant le baptême. Quand cet écrit était succinct, c’était parfois la seule indication avec le prénom.

 

A.M.O 3Q 5 billet original de Jean Etienne Harmonie 12 frimaire an 9.

Le baptême dans les billets : bilan statistique. An 3-1856.

Sur 7 783 billets 4 730 font état d’une situation connue, d’une référence par rapport au baptême (60,8 %). Parmi eux, 3 027  (64 % )sont présentés comme ayant reçu le sacrement du baptême, 1 576 (33 %) en sont dépourvus, en 127 furent, ondoyés (3 %).

 

 

Si l’on compare ces trois catégories avec le nombre total d’enfants exposés soit 13 312, on constate que dans :

-       22,7 % des cas (3 027), l’enfant est baptisé.

-       11,8 % des cas (1576) l’enfant n’a pas été baptisé

-       0,9 % des cas 127 l’enfant est annoncé comme ondoyé

De fait, dans 64,4 % des cas nous ignorons la situation au baptême de l’enfant soit par absence de billet ou que cette donnée ne figure pas dans l’écrit. On peut penser que lorsqu’un abandonneur indiquait le prénom qu’il souhaitait pour son enfant, il pouvait s’agir d’une demande implicite de baptême.

Nous avons réalisé un graphique afin d’appréhender, l’évolution de la situation baptismale des exposés sur notre période d’étude.

 

 La courbe présente un aspect très irrégulier. En moyenne, 23,5% des enfants exposés sont déclarés baptisés d’après leur billet. Le pourcentage d’enfants exposés dont le baptême est indiqué dans un billet oscille entre moins de 15 % et 45 % (1809) suivant les années.  Il ne semble pas que les changements de régime politique exercent une influence prépondérante. La volonté de faire baptiser l’enfant était probablement liée aux conditions de l’exposition : urgence, isolement, coût. On constate que la grande majorité des abandonneurs s’en remettait à l’administration hospitalière sur ce sujet. A titre de comparaison, pour Caen, François Langlois signale une baisse pendant la période révolutionnaire : « Sous l’Ancien Régime, 53,7% des billets affirment que l’enfant est baptisé, 4,1% qu’il ne l’est pas, 4,6% qu’il a été ondoyé, 9% qu’il désire le baptême. Ainsi, environ 7 billets sur 10 se rapportent au baptême. En 1729-31 et 1759-61, ces proportions atteignent respectivement 78 et 89,7%. Pendant la Révolution, 11 % seulement des billets que l’enfant a été baptisé. Avec le retour à l’ordre et la restauration du catholicisme, le pourcentage attesté de baptisés remonte à 69,4% » [1]

Devenir enfant de Dieu.

Cette préoccupation des abandonneurs était tout à fait naturelle pour l’époque. Les parents vivaient dans une société fortement marquée par la religion. Le baptême était le 1er sacrement qui permettait à l’enfant d’entrer dans la communauté catholique. Un enfant mort non baptisé était privé de vie éternelle et était condamné à errer dans les limbes ; de plus, il ne pouvait pas être enterré au cimetière comme décidé au Concile de Trente (1545-1568).[2]

Parfois, le nouveau-né était ondoyé quand on craignait pour sa vie. L’ondoiement pouvait être administré au cours de l’accouchement par une personne : sage-femme, chirurgien … en versant un peu d’eau sur la partie du corps accessible (tête, pieds) tout en prononçant les paroles consacrées. Il était baptisé par la suite. Sur les billets, il pouvait donc être indiqué que l’abandonné était baptisé, ondoyé ou pas. Parfois, les abandonneurs réclamaient vivement le sacrement. Peut-on y voir de leur part un intérêt particulier pour les enfants qu’ils exposaient ? un souci de leur devenir ? Isabelle Le Boulanger écrit en ce qui concerne les parents des Côtes-du-Nord du XIXème siècle : « Le fait de préciser si l’enfant a été baptisé ou pas, dans un contexte d’accouchement à la sauvette, est révélateur de la peur sans baptême, très ancrée pendant tout le siècle. Il témoigne aussi de la sollicitude accordée à l’enfant ».[3] Les abandonneurs savaient certainement qu’avant l’envoi en nourrice, leurs enfants, souvent mal considérés car potentiellement illégitimes, seraient pris en charge par des religieuses et ils tentaient peut-être ainsi d’ amadouer les sœurs qui , de toute façon, devaient veiller à les faire baptiser dès leur admission comme le précisait le règlement de la crèche : « a l’arrivée d’un enfant nouveau-né, la Religieuse s’assurera s’il a été Baptisé, s’il ne l’a pas été, elle le fera baptiser au plutôt »  [4]. Le baptême était payant, ce qui pouvait mettre en difficultés les familles indigentes et impliquait en outre une levée au moins partielle de l’anonymat : il fallait solliciter un curé de sa paroisse ou d’une autre, donc avouer sa faute et trouver un parrain, une marraine qui étaient alors mis dans le secret ce qui était peut-être embarrassant dans le cadre de naissances illégitimes. De ce fait, le lieu du baptême, les noms des parrain et marraine pouvaient être cités dans le billet. Ainsi, le 16 Brumaire an 11 l’écrit qui accompagnait Geneviève Pelletier, nouveau-née, précisait : « père et mère inconnue… Le parin sapelle joseph Sarton. La Marainne jully tudelle , lacque de bapteme a été fait par Lofissier publique [5]»  et celui de celui de Sulpice, le 17 ventôse an 12.

A.M.O 3Q 5 billet original de Sulpice Drouin 17 ventôse an 12.

En 1810, « Magdeleine Josephine ….  A été baptisée Dimanche 2 Décembre 1810 en l’Eglise Cathedrale Ste Croix d’Orléans et est née le 28 Novembre de la même année » [6] Nous ignorons le nom des personnes présentes. Cette nouveau-née avait reçu le baptême quelques jours après sa naissance. Etait-elle née à la maternité ? Etait-elle restée quelques jours auprès de sa mère avant l’abandon ?

A contrario, des parents signalèrent avoir eu affaire à des curés peu conciliants. En 1811, la mère d’Auguste Gabriel d’Escrennes, 8 jours fut « baptiser a pethivie je le di le cure ayany refuse lestrai de batem ». [7] Vingt ans plus tard,la mère Madeleine Lucileimplorait : « je prie bien les sœur de la faire baptisé vu que le Curé na pas voulu la baptiser a cause que lon l envoyer à l’hospice d’Orléans »[8]. Attitude étrange de ce prélat : laisser un enfant de 5 jours non baptisé : espérait-il ainsi faire changer d’avis la mère, les parents ?

Les enfants baptisés.

Dans 66% des cas, les abandonneurs mentionnèrent donc que leurs enfants étaient baptisés, souvent par la simple phrase : l’enfant est baptisé comme montré au début de ce chapitre. Cependant, les parents de Marthe Sophie Catherine, petite fille âgée de 6 ans, apportèrent une précision en l’an 12 : « Elle a Eté Baptisé Et Elevée dans la Religion Catholique » 

                                  A.M.O 3Q 5 billet original de Marthe Sophie Catherine 2 frimaire an 12.

En utilisant l’expression « Elevé dans la Religion catholique », les abandonneurs voulaient-ils insister sur le fait qu’ils avaient déjà commencé l’instruction religieuse de leur fillette ? Souhaitaient-ils aussi insister sur leur propre attachement de la catholicité ? En effet, la petite n’assistait pas à la messe seule.

Parfois, ils donnèrent la parole à l’abandonné comme, en 1834, Jean-François Bracieux : « Je suis Enfant naturel chretien apostolique et romain, baptisé le 6 avril 1834, à Saint aubin près la ferté Département du Loiret sous les noms de Jean françois, ma mère est fille et sans fortune est obligée de servir dans une ferme en qualité de Domestique, ce qui l’empêche de pouvoir me garder avec elle pour m’élever… » [9]

L’auteur du billet, (la mère ?) avait mis côte à côte les adjectifs « naturel » et « chrétien » ; pensait-il que le baptême pourrait atténuer la honte de l’illégitimité ? De plus, il faisait s’exprimer l’enfant qui expliquait pourquoi sa mère était « obligée » de l’exposer semblant ainsi la comprendre voire lui pardonner. 

Les enfants non baptisés

Dans environ 12 % des cas, l’enfant était annoncé non baptisé et souvent les abandonneurs réclamaient le sacrement parfois avec insistance. En 1822, les parents de Vincent écrivaient : « n’a point reçu le saint bapteme on désire qu’il lui soit promptement administré et qu’il lui soit donné … » [10]De même, la mère de Victoire Blanche Elise demandait : « N’est pas baptiser, je desirerais qu’elle le soit au plutôt… ».[11] Peut-on voir dans ces sollicitations pressantes, la crainte des parents de voir mourir leurs enfants avant d’avoir été baptisés ? En effet, il s’agissait souvent de nouveau-nés dont l’espérance de vie était limitée à l’époque comme l’attestent les exemples cités ci-dessous :

En 1801, « cet enfant est né d’aujourd’hui 24 germinal an 9 a deux heures du matin il n’es pas baptisé les parens désire qu’on le nôme alphonse et qu’il fut possible de le reconnaitre dans quelques tems »

 

                                  A.M.O 3Q 5 billet original d’Alphonse Crecheron 24 germinal an 9.

En 1821, « Monsieur l’enfant du sexe feminin qui vous est déposé à 9 heures du soir environ est né à sept heures du matin, il n’est pas baptisé, vous êtes prié de le faire baptiser et de lui donner le nom de Julie … »  [12]

Parfois, les abandonnés semblaient solliciter eux-mêmes le baptême : en 1819, au sujet de Cli Antonio Charles « Cet enfant réclame le baptême » [13] ou en 1851, Charles « je suis payen veuillez me rendre chretien. » [14] En donnant la parole à l’enfant, les auteurs des billets espéraient-ils hâter le baptême ? L’emploi du mot « payen » n’était sans doute pas anodin.

Plus rare, nous avons retrouvé un cas de refus de baptême en 1808 pour une nouveau-née, Catherine Adélaïde Gabrielle : « de ne pas faire batise lanfant ». Parents athées non catholiques ?

A.M.O 3 Q 6 procès-verbal d’exposition de catherine Adélaïde Gabielle 4/4/1808.

Les enfants ondoyés

3% des enfants furent ondoyés avant d’être exposés. Généralement, le terme « ondoyé » est noté sur les billets, comme Rougecœur Louise en 1798 : «  set fille nes pas Baptissée el est née diyier … elles ondoiyer » ou en 1803, Genevieve Colombe Irma « irma est le nom que la personne lui a Donné né le 31 decembre endoïée Sur la tête »

A.M.O 3Q 5 billet original de Louise Rougecoeur 26 ventôse an 6.

A.M.O 3Q 5 billet original de Geneviéve Colombe Irma 12 nivôse an 11.

Nous l’avons déjà expliqué le nouveau-né était ondoyé quand on craignait pour sa vie afin de lui éviter la mort sans baptême et les limbes. S’il survivait, il était baptisé dans un second temps.

Pour 4 enfants ondoyés, nous connaissons leur âge au moment de leur décès. Marie Louise Mederic succomba 4 jours après sa naissance, elle était née  prématurée à 7 mois de terme. Trois abandonnées décédèrent en nourrice : Rouge Cœur Louise à 6 mois et 10 jours, Geneviève Irma à 1 mois et 2 jours. La troisième fille, jusqu’à présent pas encore citée dans cet article, Marie Angélique Testière, parvint à atteindre son 1er anniversaire ; elle décéda à 1 an et 3 mois. Brève existence pour ces enfants ondoyés, destin habituel des abandonnés d’autant que ces 4 petites filles avaient survécu à une naissance difficile : accouchement dystocique ? Prématurité ?

En conclusion, nous proposons ce point de vue de François Langlois : « L'application des parents à conférer, dans des circonstances difficiles, la grâce sacramentelle aux petits innocents qu'ils vont délaisser, témoigne-t-elle d'un « certain attachement » [15]? Réhabilite-t-elle des parents « aimants » ? Peut-être faut-il avancer ici une double explication, aboutissant à diagnostiquer un véritable souci pour l'avenir du bébé. Réhabilitation d'abord : marginalisé par ses origines présumées coupables, l'enfant baptisé entre ainsi dans la communauté chrétienne. Sauvegarde ensuite : pour ces parents, le baptême confère une assurance supplémentaire que leurs petits seront recueillis. » [17]

 Annexes.

A.M.O 3Q 5 billet original Marie Louise de Mederic 12 fructidor an 12.

 

A.M.O 3Q 5 billet original de Marie Angèlique Testiere 11 frimaire an 9.

A.M.O 3Q 5 billet original de Catherine Pasbaptisé 1 er frimaire an 8.

A.M.O 3Q 5 billet original de Augustin Babylas 24 ventose an 12.

 

 



[1] Langlois François. Les enfants abandonnés à Caen, 1661-1820. In: Histoire, économie et société, 1987, 6e année, n°3. L'enfant abandonné. pp. 307-328 ; doi : https://doi.org/10.3406/hes.1987.1454 https://www.persee.fr/doc/hes_0752-5702_1987_num_6_3_1454

[2] Voir ouvrage de Jacques Gelis Les enfants des Limbes. Mort-nés et parents dans l’Europe Chrétienne. Audibert 2006. Le concept de « Limbes » fut supprimé par le Vatican en avril 2007

[3] Le Boulanger Isabelle L’abandon d’enfants. L’exemple des Côtes du Nord au XIXème siècle. PUR 2011 p.119

[4] A.D 45 2J 3. Règlement de l’hôpital de la ville d’Orléans. Chapitre 10, salle de la crèche art : 116. 1838.

[5] A.M.O 3Q 5 procès-verbal d’exposition de Geneviève Pelletier 8 frimaire an 11.

[6] A.M.O 3Q 7 procès-verbal d’exposition de Joséphine Aglaé Marie 8/12/1810

[7] A.M.O registre d’état civil des naissances d’Orléans Auguste Gabriel Gatret 1821 n°1075

[8] A.M.O registre d’état civil des naissances d’Orléans Madeleine Lucile Predel 1841 2 eme registre n°244.

[9] A.M.O registre d’état civil des naissances d’Orléans Jean François Bracieux 1834 n°433.

[10] A.M.O registre d’état civil des naissances d’Orléans Vincent Doignard 1822 n° 369.

[11] A.M.O registre d’état civil des naissances d’Orléans Victoire Blanche Elise Marceau 1856 2 eme registre n°169.

[12] A.M.O registre d’état civil des naissances d’Orléans Julie Cente 1821 n°732.

[13] A.M.O registre d’état civil des naissances d’Orléans Antoinio Charles Cli 1819 n°735.

[14] A.M.O registre d’état civil des naissances d’Orléans Charles Benoit 1851 2 eme registre n°88.

[15] Peyronnet (J.C), « Les enfants abandonnés et leurs nourrices à Limoges au XVIIIe siècle », Revue d'histoire moderne et contemporaine, 1976, 7-8, p.421.

[16] Delaselle (C), « Les enfants abandonnés à Pans au XVIIIe siècle », A.E.S.C, 1975, 1, p. 198

[17] Langlois François. Les enfants abandonnés à Caen, 1661-1820.Op.cit., p. 325.

 

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  • Intéressée par l’histoire, j’ai effectué, des recherches dans plusieurs services d’archives sur les thèmes de l’enfance, des sages-femmes. Vous trouverez dans ce blog les écrits rédigés à partir de ces recherches. N. Dejouy
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