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Contributions à l'histoire de l'enfance aux XVIIIe et XIXe siècle
29 octobre 2022

LES CRECHES DANS L'OISE : Généralités

UNIVERSITE DE PICARDIE JULES VERNE

FACULTE DE MEDECINE D'AMIENS

Direction de l'Éducation Permanente

 

LES CRECHES DANS L'OISE

DES ORIGINES A LA 1ERE GUERRE MONDIALE

1845-1914

Mémoire pour le Diplôme de Médecine Périnatale présenté et soutenu à Amiens le 19 octobre 1995

 

NATHALIE DEJOUY

 

           "La crèche dégage les bras de la mère et lui donne la liberté de son temps. Or le temps et les bras sont l'unique trésor du pauvre. Pendant que vous gardez l'enfant, le travail garde la mère."

Firmin Marbeau (Des Crèches)


AVANT PROPOS

 

Pour ce diplôme de médecine périnatale, je souhaitais rédiger un mémoire à caractère historique, du genre monographie sur un sujet en rapport avec l'enfance.

Lors d'un premier sondage aux Archives départementales de Beauvais, j'eus le plaisir de découvrir, dans la série 3X « protection du premier âge », un fonds documentaire relativement important sur les crèches entre 1872 et 1914. Par la suite, mes investigations m'amenèrent à me rendre aux Archives municipales de Compiègne, de Chantilly et de Senlis, aux Archives de l'Assistance publique à Paris. Je tiens à nouveau à remercier les personnels de tous ces services pour leur accueil et leur aide ainsi que Mme la secrétaire de Mairie et M. le Maire de Thieux, Mme la responsable de la bibliothèque de Clermont et M. le Chargé de Mission culturelle de cette même commune.

Chronologiquement, cette étude couvre une période allant de 1845, année de création de la première crèche de l'Oise, à 1914, date charnière de l'Histoire de France, mais aussi époque où de nombreux établissements du département fermèrent ou furent détruits. Les documents archivés sont essentiellement des échanges de courriers, de rapports entre les responsables des crèches et les différents services administratifs (commune, département, ministère). Les renseignements ayant trait à la vie quotidienne des établissements, les données sociologiques, médicales sont trop souvent absentes, ce qui rend parfois difficile ce travail descriptif. De même, je déplore l'absence quasi complète d'informations concernant certaines institutions (crèches d'entreprises et crèches privées).

Avertissement.

Pour intégrer dans le blog ce texte dactylographié en 1995, un logiciel de reconnaissance de caractère (OCR) a été utilisé, générant de nombreuses coquilles que nous avons tenté de corriger. Malheureusement, et malgré toute notre attention, certaines demeurent et d’autres ont vraisemblablement  été oubliées. La version d’origine a été enrichie de quelques illustrations.  Enfin, pour faciliter la lecture, ce mémoire a été, dans sa version numérisée, scindé en plusieurs parties dont la mise en ligne se fera progressivement.

GENERALITES

                   A ) La protection infantile de la fin du XIXe siècle au début du XXe .

I ) La lutte contre la mortalité infantile :  une œuvre de charité et un enjeu politique.

En France, à partir de 1865, des médecins, alarmés par l'effrayante mortalité infantile tentèrent d'alerter les pouvoirs publics. Chaque jour, dans l'exercice de leur profession, ils constataient les ravages de l'industrie nourricière, dans les campagnes françaises ; certains parlaient d'entre­ prises d'infanticide. Moyennant un salaire misérable, des nourrices sèches recevaient les enfants abandonnés ou orphelins placés chez elles par les institutions, mais aussi ceux des commerçants, artisans, domestiques et ouvriers, qui, du fait de leur travail, ne pouvaient les garder. La mortalité de ces nourrissons était élevée :

-   manque d'hygiène,

-  accidents dus à la négligence de la gardeuse,

-  gastroentérites provoquées par une mauvaise, alimentation. [1]

Certains n'arrivaient d'ailleurs jamais à destination. Confiés à des meneurs, qui prenaient en charge plusieurs enfants pour un même trajet beaucoup mourrait pendant un voyage pénible et souvent long (parfois 100 à 200 km). Des paysannes se plaçaient comme nourrices sur lieu dans les familles aisées de la ville et étaient obligées de laisser au village leurs propres enfants, qui succombaient au sevrage.

  Rapidement, les hommes politiques s'intéressèrent à la protection de la petite enfance. Certes, ils avaient entendu les témoignages émouvants de ces médecins. Mais ils devaient en plus résoudre un nouveau problème : la dépopulation de la France. Sauvegarder l'existence des nourrissons était une nécessité morale, mais également politique. Ainsi après avoir déclaré « la patrie en danger », le Dr Boudet écrivait en 1866, dans le Bulletin de l'Académie de Médecine : "Indépendamment des questions d'humanité, l'intérêt de la grandeur nationale se lie plus que jamais à la question de la mortalité en général et particulièrement la mortalité des nourrissons en France. La puissance militaire, agricole, industrielle des nations n'a-t-elle pas pour base le nombre et l'énergie des citoyens ? ".[2]

La défaite de 1870 amplifia ce mouvement. En effet c'était une Allemagne en pleine croissance qui avait vaincu une France vieillissante. Certains préparaient déjà la revanche...! Au début, tous les efforts portèrent sur la diminution de la mortalité infantile, la lutte contre la baisse de la natalité fut une préoccupation plus tardive. Les hommes politiques légiférèrent ; des lois furent votées ; des comités, des commissions, des services d'inspection furent créés. L'État intervint de plus en plus dans le domaine de la petite enfance ; cette tendance se poursuivit au XXe siècle.

II) Naissance de la pédiatrie et de la puériculture.

 Au cours de cette période, le développement de l'hygiène, des pro­grès techniques et les travaux de Pasteur dotèrent peu à peu les médecins de nouveaux moyens pour soigner les enfants et améliorer leur existence, le corps médical s'intéressant de plus en plus à la petite enfance, domaine jadis exclusivement réservé aux femmes. Deux sciences nouvelles se développèrent à la fin du XIXe et au début du XXe : la puériculture et la pédiatrie. Le mot « puériculture » fut créé en 1865 par un médecin français le docteur Caron, qui publia un manuel « La Puériculture ou la science d'élever hygiéniquement et physiologiquement les enfants ». Le docteur Pinard employa à nouveau ce terme en 1895. Le mot " pédiatrie " fut inventé en 1872 (Littré).          

a)    Progrès législatifs, consultations et gouttes de lait.

Afin de diminuer la mortalité et la morbidité infantiles, de nombreuses actions furent entreprises. Par ses travaux législatifs, Théophile Roussel (1816-1903) médecin et homme politique, contribua à l'amélioration du sort des enfants placés en nourrice et s'intéressa au problème des enfants maltraités. [3] Plus tard, Paul Strauss (1852-1942) poursuivit ce travail. Pierre Budin, médecin accoucheur (1846-1907) fut à l’origine de la 1ère consultation de nourrisson en 1892. A Fécamp, en 1894, le docteur Léon Dufour créa la 1ère Goutte de lait destinée à promouvoir l'allaitement maternel et à distribuer du lait stérilisé. De son côté, le docteur Variot développa, dans son dispensaire de Belleville, des consultations- gouttes de lait.

 b)     Crèches, chambres d’allaitement, pouponnières.

Du milieu du XIXe au début du XXe, de nombreuses crèches ouvrirent grâce à la générosité de particuliers influencés sans doute par l'initiative de F. Marbeau. [4] Certes ces garderies ne recevaient qu'une minorité d'enfants : ceux des ouvriers des villes qui d'ailleurs ne profitaient pas pleinement de ces institutions, de nombreuses places de crèches restant vacantes. Ces établissements améliorèrent pourtant grandement le sort de leurs pensionnaires : séparation mère-enfant évitée, soins dispensés dans la journée, contrôle de l'alimentation. En effet, la salle d'asile ne recevait pas les petits de moins de 2 ans. Et en l'absence de crèche, l'ouvrière, employée toute la journée dans la fabrique, était obligée de les laisser seuls sans surveillance, de les confier à un aîné plus ou moins capable d'assumer cette tâche ; or ce dernier, demeurant au domicile, ne rapportait pas de salaire à la famille.

Elle pouvait également les placer chez une voisine. Peu payée, cette nourrice sèche accueillait plusieurs enfants en même temps, dans un logement insalubre et faute de temps, de savoir elle ne leur prodiguait pas tous les soins nécessaires. Paul Strauss écrivait en 1901 : « Plus la crèche sera populaire, plus elle aura de clients et moins les nourrissons seront exilés loin des villes, exposés à l'élevage le plus périlleux et le plus meurtrier… » [5]  D'autre part, le problème de la garde des petits se posait dès leur naissance. En effet, il faut attendre la loi Strauss votée en 1913, pour que les jeunes mères puissent bénéficier d'un congé postnatal et d'indemnités de repos. Avant cette date, de semblables initiatives avaient été prises localement par des patrons ou des mutualités. [6]

Outre les crèches, d'autres établissements se chargeaient de la garde des jeunes enfants : les chambres d'allaitement et les pouponnières. Les premières avaient une organisation sommaire : un local à l'intérieur de l'usine accueillait tous les jeunes enfants que leurs mères, ouvrières à l'usine, venaient allaiter pendant leur journée de travail. En principe, seuls les enfants, nourris au sein, étaient reçus ; parfois, l'allaitement mixte était toléré. La surveillance était assurée par une gardienne quelquefois une ouvrière retraitée. Avec le temps certaines chambres d'allaitement se développèrent et devinrent de véritables crèches. Les pouponnières prenaient en charge les enfants le jour, mais également la nuit. Certaines se spécialisèrent et reçurent les enfants chétifs et les petits convalescents.[7]        

c ) Conclusion.

 En 1872, dans « De la mortalité excessive des enfants pendant la première année de leur existence », le docteur Monet résume le rôle essentiel joué par tous ses bienfaiteurs, hommes politiques ou simples cœurs charitables : « Prendre l'enfant à sa naissance le suivre dans tous ses développements, veiller à subvenir à tous ses besoins physiques, moraux et intellectuels, le défendre contre ses ennemis, la misère, ‘ignorance  et le vice, éloigner de lui autant que possible les causes de mortalité et d'étiolement, faire de lui un homme vigoureux, un citoyen vertueux, le sortir en un mot de cette position qui fait de lui dans nos campagnes ce que l'on pourrait appeler un nègre blanc, tel est le but vers lequel doivent tendre tous les efforts de ceux qui aiment leur patrie, tous ceux que sa fortune et sa grandeur intéressent . »  [8]

Crèche Ste-Elisabeth de Compiègne, 3 rue des capucins construite en 1906. Clichè de l'auteur 1994)



[1] Pour la période 1871-1875, la mortalité infantile de 0 à 1 an s’élevait à 178 pour mille. (« La Politique de la petite enfance sous la  IIIe république C. Rollet.Echallier p 416).

Dans sa thèse de doctorat de médecine intitulée « Les crèches, leur passé, leur présent, leur avenir.

Étude d'hygiène sociale » (1906), R. Deswarte citait quelques chiffres de mortalité infantile :

  • Pour Bertillon, sur 1 000 naissances, il y a eu en moyenne, par an de1889 à 1893, 169 décès de 0 à 1 an ; et 161 de1894 à 1898.
  • D'après Budin (Rapport au XXe Congrès international d'hygiène et de démographie, Paris 1900), sur 1 000 décès d'enfants de 0 à 1 an :

- la diarrhée est à incriminer dans 305 cas,

- les affections pulmonaires sont à incriminer dans 145 cas,

- les autres maladies réunies (éruptives, maladies contagieuses ...) sont à incriminer dans 470 cas. ·

  • Sur 1 000 enfants soumis à l'allaitement maternel, il en meurt 15 de o à 1 an ; dans cette même première année, il en meurt 30% parmi ceux qui reçoivent le biberon de la mère ; 45% parmi ceux qui ont le sein en nourrice et enfin 63 % parmi ceux qui sont élevés au biberon en nourrice". (...) Plus un enfant est éloigné de sa mère, plus il a des chances de mourir".  (d 'après les observations de Pinard et ses élèves) Thèse trouvée aux archives de !'Assistance Publique côte B 4362

[2] La Politique de la petite enfance sous la Ille République C. Rollet.Echallier p.109

[3] Loi   du 23 décembre 1874 dite Loi Roussel, destinée à protéger « tout enfant de moins de deux ans, placé hors du domicile de ses parents en nourrice, en sevrage ou en garde, moyennant salaire ».

Loi de 1889 dite « loi de protection des enfants maltraités et moralement abandonnés »; Rollet-Echalier op.cit., p.131

[4] Les fondateurs des crèches pouvaient être : - une personne charitable, un comité de bienfaiteurs

-  un industriel,

-   une commune,

-   I' État-patron (crèches créées dans les manufactures

de tabac, d’allumettes...).

 [5] Rollet-Echalier op.cit., p. 526

[6] Loi du 17 juin1913, complétée par la loi de finances du 30juillet 1913. Voir Bulletin de la Société des Crèches n°152 octobre 1913 (Archives de !'Assistance Publique) Article intitulé « Lereposdesfemmes en couches » : Historique de la loi et reproduction du dit texte.

 [7] Inaugurée en 1893, la pouponnière de Porchefontaine (près de Versailles) servit de modèle à d'autres établissements. Dans I' Oise le pouponnat de Crépy en Valois fonctionna de 1894 à 1901.

 [8] Rollet-Echalier op.cit., p. 526

 

 

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  • Intéressée par l’histoire, j’ai effectué, des recherches dans plusieurs services d’archives sur les thèmes de l’enfance, des sages-femmes. Vous trouverez dans ce blog les écrits rédigés à partir de ces recherches. N. Dejouy
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