Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Contributions à l'histoire de l'enfance aux XVIIIe et XIXe siècle
3 juin 2023

Des parents emprisonnés ou malades, des enfants accueillis à l’hôpital.

Parmi tous les enfants admis au titre des enfants abandonnés, certains étaient reçus, a priori, provisoirement à l’hôpital d’Orléans, car leurs parents étaient momentanément dans l’impossibilité de s’en occuper : incarcérés ou hospitalisés. Pour ces deux situations, nous aborderons la situation des mères ou des pères, le retentissement sur la vie de leurs enfants et les réponses apportées par l’administration de l’hôpital. Notre étude s’appuie sur les arrêtés du maire d’Orléans et les registres de correspondance active de la commission administrative de l’hôpital. Nous renvoyons pour une présentation de ces sources à la contribution intitulée« Des enfants abandonnés sur la voie publique, des orphelins, des enfants placés » sur ce blog, cette étude s’appuyant sur les mêmes sources.

« enfant reçu …. comme enfant abandonné tout le temps que durera la détention… » [1] : des parents en prison ou au dépôt de mendicité 

Des pères et des mères incarcérés. 

Sur la période allant de 1806 à 1837, nous avons retrouvé 74 situations familiales :  39 mères étaient seules, essentiellement célibataires, quelques-unes veuves ; 5 pères seuls (mères des enfants décédées en général). Quant aux couples, les deux pouvaient être emprisonnés ou seulement un seul. Les parents étaient dans l’attente de leur jugement ou déjà condamnés. Ils étaient incarcérés dans le Loiret : prisons d’Orléans, de Pithiviers, de Montargis. Certaines mères furent transférées à Clairvaux, des pères à Melun. D’autres parents étaient condamnés à purger leurs peines au dépôt de mendicité de Beaugency. Ces établissements, destinés à l’enfermement des vagabonds et des mendiants furent créées sous l’Ancien Régime : 1764, Déclaration royale et 1767 arrêts du Conseil d’État ordonnant l’ouverture d’une maison de force dans chaque généralité. Au fil du temps, ces établissements évoluèrent présentant ainsi de plus en plus de similitudes avec les hôpitaux généraux. En effet, les populations reçues devinrent très disparates avec notamment de nombreux « insensés » ; leur fonction médicale s’accrut et leur aspect pénitentiaire s’assouplit. En 1785 fut rédigé « le règlement concernant la constitution et le régime général des Dépôts de mendicité du Royaume ».[2] A la fin de la monarchie, les dépôts de mendicité furent critiqués : insalubrité, inutilité…et ils furent supprimés temporairement à la Révolution. Sous Napoléon Ier, le décret impérial du 5 juillet 1808 « sur l’extirpation de la mendicité » ordonna la création de dépôt de mendicité dans chaque département afin d’enfermer « tous les individus mendiants et n’ayant aucun moyen de subsistances ». La loi de 1810 stipulait que « Toute personne qui aura été trouvée mendiant dans un lieu pour lequel il existera un établissement public organisé afin d’obvier à la mendicité, sera punie de trois à six mois d’emprisonnement et sera, après l’expiration de sa peine, conduite au dépôt de mendicité » [3].

 Ainsi,  fin avril 1850, trois enfants : Rosalie Langlois, 20 mois, François Girard , 8 ans et sa sœur Henriette Girard, 4 ans furent admis provisoirement du fait des condamnations prononcées à l’encontre de leurs mères, toutes deux orléanaises :  à savoir pour la première, Augustine Hure femme Langlois « un mois de prison pour délit de mendicité et qui, à l’expiration de sa peine, doit être conduite au dépôt de mendicité de Beaugency » et pour la seconde, Renée Frouteau, femme Girard « condamnée pour pareil délit à 8 jours d’emprisonnement et qui doit après l’expiration de la peine être admise au dépôt de mendicité de Beaugency. »[4].

Dans les arrêtés du maire, était parfois précisée la durée de la peine allant de 2 mois à 7 ans, information importante pour les administrateurs car permettant d’estimer le temps de séjour de l’enfant qui devait être remis à ses parents à la fin de leur incarcération. Cependant, nous l’aborderons plus loin tous les enfants ne retournaient pas dans leur famille. Les délits étaient également parfois indiqués : prostitution et proxénétisme, vagabondage, vol (ou prévention de vol), mendicité, prévention d’infanticide. Le 5 décembre 1828, 4 femmes de Trainou étaient emprisonnées pour une courte peine, 2 mois (sortie prévue le 5 février 1829). Leur était reproché un « défaut de paiement de condamnations pécuniaires …. pour délit forestier commis en récidive ». Elles avaient 6 enfants, tous admis « provisoirement à l’hospice jusqu’à l’expiration de la détention de leur mère, ceux des enfants qui ne sont pas à la mamelle ». En effet, elles n’avaient pas de proches susceptibles de s’occuper. Les enfants devaient bien se connaître et peut-être ont-ils pu se retrouver à l’hospice.[5]

Les enfants admis du fait de l’incarcération de leurs parents sont au nombre de 106.Cette liste n’est bien sûr pas exhaustive. Nous connaissons l’âge de 82 d’entre d’eux, parmi eux on compte 14 nouveau-nés.

« un Enfant de sexe féminin né dans la maison d’arrêt de cette ville ».  

Nous dénombrons 12 naissances en prison à Orléans et 2 dans celle de Pithiviers. Si dans les arrêtés du maire, il était clairement indiqué que l’accouchement avait eu lieu en prison. Dans les actes de naissance des enfants, cette information était rarement indiquée. A Orléans, seule était notée l’adresse, 50 rue de la Bretonnerie qui était effectivement depuis 1792 l’adresse de la prison, anciennement couvent des Ursulines.[6] Les témoins qui se présentaient avec la sage-femme ou le chirurgien au bureau d’état civil étaient désignés comme des « employés » résidant rue de la Bretonnerie sauf une fois en 1832, ils furent nommés plus précisément « l’un concierge et l’autre porte clefs de la prison de la ville » [7].

Ainsi, sur l’arrêté du maire du 4 avril 1820, fut noté : « le 3 de ce mois…. la nommée Marguerite Bezin âgée de vingt quatre ans, ci-devant domestique native de Surgy département de la Nièvre…. détenue en la maison de détention en vertu du jugement de la cour royale d’Orléans le 17 janvier dernier est accouché d’un enfant mâle auquel on a donné le prénom de René »[8] . Sur l’acte de naissance, l’employé nota le même jour : « Marguerite, domestique… domiciliée audit Orléans Rue Bretonnerie N° 50 à onze du soir dans son dit domicile d’un enfant mâle… »[9]. Il peut sembler étrange d’écrire que la prison était le domicile de la détenue. Sur d’autres actes de naissance d’enfants nés aussi dans la même prison, il fut inscrit : « dans une maison sise dite rue de la Bretonnerie ».

Dans notre panel, 2 enfants sont nés à la prison de Pithiviers. En 1828, Elisabeth Bannery y était incarcérée le 5 octobre au moment de la naissance de son enfant. L’officier se montra plus précis et nota sur le registre d’état civil le lendemain que la sage-femme de cette ville, accompagnée du commissaire de la ville et du concierge de la maison d’arrêt « nous a présenté un Enfant de sexe féminin né dans la maison d’arrêt de cette ville le cinq octobre à neuf du soir et dont est accouchée Elisabeth Bannery et auquel elle donne les prénoms de Stéphanie Elisabeth »[10] L’année précédente, Marie Marguerite Gaucher avait accouché aussi dans la même prison le 25 octobre 1827 et, à l’époque, l’officier d’état civil avait écrit plus laconique que la sage-femme « nous a présenté un enfant de sexe féminin né hier à neuf heures du soir en cette ville et dont est accouchée la nommée Marguerite Gaucher ». Il avait cependant précisé les professions des témoins « agent de police », « concierge de la maison d’arrêt »[11]. Certes, les métiers exercés par les deux hommes pouvaient faire penser à un enfant de détenue, mais le terme de maison d’arrêt n’était pas noté.

En 1850, les naissances n’avaient plus lieu à la maison d’arrêt. En effet, deux détenues d’Orléans enceintes, Annette Marceau et Joséphine Lacroix furent momentanément admises à l’hospice de la maternité « pour y faire leurs couches » où elles accouchèrent respectivement les 23 juillet et 29 novembre. Sur les actes de naissance de leur fille, il n’y a aucun élément faisant référence à la prison. La première était déclarée « journalière, domiciliée Rue St Marceau N° 11 » ; pour la seconde, était noté « domestique, domiciliée à Mardié », son lieu de naissance. Les personnes qui se rendirent à l’état civil pour présenter les enfants, étaient des employés de l’hospice : maîtresse sage-femme, économe et employé.[12]

Des enfants en prison avec leur mère.

Des enfants plus âgés et des fratries

Pour les 68 autres enfants, on note une grande diversité dans les âges allant de moins d’un an (5) à 15 ans (1). Les 1 à 3 ans sont 22, les 4 à 6 ans 18 et les 7 et plus 26. 27 fratries furent admises. La famille Langlois était la plus nombreuse ; le 29 mai 1849, les 7 enfants : 5 filles, Marie Augustine, Marie Amélie, Eudoxie, Laurence et Rosalie (âgées de 12, 11,9, 5 et 1 an), 2 garçons, Désiré et Stanislas (âgés de 6 et 3 ans) « furent provisoirement admis à l’hôpital, au rang des enfants trouvés et abandonnés », car leur père et mère étaient « en état de détention » [13]. Les enfants étaient-ils restés ensemble pendant toute la période de leur placement ? Nous l’ignorons. Dans un 1er temps, il était prévu de les remettre à leur père en juillet 1849. Mais, une incompréhension concernant la durée de sa peine qu’il purgeait à la prison d’Orléans avait fait retarder leur départ en novembre et c’est finalement, la mère qui vint les chercher le 19 novembre 1849, après un peu plus de 5 mois de séparation. 

Citons une autre famille nombreuse dont nous pouvons suivre le parcours des enfants : les Liger ou Leger. Les autorités avaient un doute concernant le patronyme et firent interroger le père qui était en prison à Orléans pour vol : en vain, « par suite de son idiotisme et de son abrutissement, tous nos efforts ont été inutiles »[14] et s’adressèrent alors au maire de Montargis pour obtenir des précisions sur l’état civil de la fratrie. La mère était détenue à la prison de Montargis pour proxénétisme. De même, il semblerait qu’il y eut un doute sur le nombre d’enfants : ils étaient comptés 4 en 1847 puis en 1849, 5. Or, le 4 mai 1847, seulement 4 enfants Liger ou Leger furent reçus à l’hôpital d’Orléans : Elisabeth, Ferdinand Jules, Léonide et Albert, âgés de 10, 10, 3 et 1 an. A priori, les enfants étaient reçus à l’hospice pendant l’incarcération de leurs parents qui les reprenaient à l’expiration de leur peine.  Cependant, nous l’avons vu des enfants sont nés en prison et y restèrent auprès de leur mère. Ainsi, Marguerite Gaucher, la détenue de Pithiviers citée ci-dessus avait donné naissance à Marie le 26 octobre 1827. L’enfant resta auprès de sa mère un peu plus de 3 mois jusqu’au transfèrement de la prisonnière à la maison centrale de Clairvaux, le 13 février 1828.

En 1850, Annette Marceau entra à l’hospice de la maternité le 18 juillet 1850, elle y accoucha le 23. Son enfant, Joséphine Marceau, admise au rang des enfants abandonnés, fut reçue à l’hospice le 3 août. Elles restèrent ensemble 12 jours.

En général, c’étaient   les nourrissons, « les enfants à la mamelle » qui restaient avec leurs mères parfois pour une courte période. Cependant, des enfants plus âgés étaient effectivement auprès de leurs mères lors du transfèrement de ces dernières à la maison centrale de Clairvaux. De 1823 à 1830, 12 détenues, condamnées à des peines de prison allant de 1 à 5 ans, quittèrent le Loiret pour l’Aube et leurs 12 enfants furent admis à l’hôpital d’Orléans. Marie, le nourrisson de Marguerite Gaucher, déjà évoquée, avait 3 mois, Etienne, le fils d’Hortense Gerard était « encore à la mamelle »[15]. Mais, les autres avaient entre 2 et 7 ans.   Ainsi, en 1829, Marie Madelaine Dubois « détenue dans les prisons d’Orléans d’où elle doit être conduite dans la maison centrale de Clairvaux …. a avec elle un enfant qu’elle déclare être sa fille naturelle être née à Chartres le 29 mars 1821 ». De ce fait, sa fille, Adélaïde Clémence fut « admise à l’hôpital général au nombre des enfants abandonnés sauf à être rendu s’il y a lieu à sa mère lorsqu’elle sera mise en liberté ».[16] Quelques jours avant le transfert des mères voire le jour même, le concierge de la prison adressait un rapport pour obtenir l’admission des enfants à l’hôpital général. Mais, en 1830, le courrier fut envoyé après, laissant Rosalie, 3 ans environ, seule à la maison d’arrêt pendant au moins trois jours.

AMO 2D 3 Arrêté du maire 24/05/1830, admission de Rosalie Angélique Delaye au nombre des enfants abandonnés jusqu’à expiration de la peine de sa mère.

 

En fait, cette présence en prison d’enfants auprès de leurs mères était prévue par la loi. L’arrêté du 25 décembre 1819 précisait le sort réservé aux femmes enceintes, aux accouchées et à leurs enfants. « Les femmes enceintes seront, pendant les trois derniers mois de leur grossesse, placées à l’infirmerie, ou, s’il est possible, dans des pièces séparées ». Après l’accouchement, il était permis « d’allaiter son enfant, et même ensuite de le garder jusqu’à ce qu’il ait trois ans accomplis ». Si l’enfant n’était pas allaité ou s’il avait plus de 3 ans, il était « mis, si les père et mère n’ont pas de moyens d’existence, au nombre des orphelins qui sont à la charge publique. »  Les femmes arrêtées avec un enfant allaité ou de moins de 3 ans pouvaient bénéficier des mêmes dispositions.[17] A l’origine, en 1819, ces instructions ne concernaient pas les femmes condamnées à plus d’une année de détention. Ensuite, par la circulaire du 10 mai 1861, il fut décidé « que les femmes accouchées ou enceintes subiraient la peine de l’emprisonnement au-dessus d’un an dans la prison du chef-lieu du département où la condamnation aura été prononcée, et qu’elles y conserveraient leur enfant pour l’allaiter et lui donner les soins nécessaires jusqu’à l’âge de trois ans »[18]. En 1868, constatant que cette instruction « fondée sur des considérations d’humanité » n’avait pas donné les résultats escomptés, il fut décidé « dans l’intérêt mieux entendu des enfants et des mères elles-mêmes, de l’appliquer désormais avec plus de réserve ». En effet, certaines mères détenues n’étaient pas « dignes du bienfait qu’il leur était accordé… témoignent peu de sollicitude pour le bien-être et l’éducation première de leur enfant, celui-ci n’est entre leurs mains qu’un prétexte pour se livrer à l’oisiveté, un objet de dissipation ou de trouble pour leurs compagnes. Plusieurs finissent par demander son envoi dans un hospice, sans attendre l’expiration du délai ». Parfois, l’enfant dont la mère n’avait pas amassé de pécule suffisant était abandonné dès la sortie de prison. [19]

Si les archives attestent bien de la présence d’enfants auprès de leurs mères incarcérées, parfois âgés de plus de 3 ans, en contradiction avec les textes de loi ci-dessus, nous ne disposons d’aucune information concernant la durée de leur séjour ni de leurs conditions de vie. Certains étaient suffisamment âgés pour en garder souvenir d’autant que cette étape en prison précédait la séparation d’avec leur mère et l’admission à l’hôpital. Toutefois, des nouveau-nés, susceptibles de demeurer avec leurs mères, furent rapidement accueillis à l’hospice sur la demande de l’accouchée elle -même, sur avis médical ou sur la requête du concierge de la prison.

Ainsi, la lecture de l’arrêté du maire du 23 février 1832 nous apprend que « Aimée Rousseau, âgée de 22 ans, native de Baulle est accouchée le 20 de ce mois dans la prison, d’un enfant de sexe féminin qui a reçu les prénoms de Louise Marguerite et qu’elle refuse de conserver avec elle »[20]. Désintérêt de la mère pour son enfant (grossesse non désirée …) ou au contraire volonté de la soustraire du milieu carcéral que l’on peut imaginer à l’époque rude (insalubrité, promiscuité…). Nous ignorons si, à la fin de sa peine, elle est venue la reprendre comme elle en avait la possibilité.

D’autres fois, l’enfant quittait sa mère par suite de préconisations médicales. Ainsi, Charles Nicolas, né le 5 novembre 1826 à la maison d’arrêt d’Orléans fut admis 2 jours plus tard à l’hôpital général « comme enfant abandonné, sauf à être rendu, s’il y a lieu à sa mère lorsqu’elle sera remise en liberté », car « d’après l’avis de Monsieur le chirurgien de l’hospice », la mère, Anne Marie Bucheron, domestique, 36 ans « ne peut, dans la position où elle se trouve donner la nourriture nécessaire à son enfant »[21].  

 En 1816, des jumeaux âgés de 6 mois quittaient leur mère suite à la lettre du concierge de la maison d’arrêt d’Orléans qui expliquait « que pour l’ordre de la maison, il est impossible qu’ils puissent rester avec elle, en conséquence il demande qu’ils soient déposés provisoirement à l’hôpital général de cette ville jusqu’à l’issue du procès criminel qui peut avoir lieu par suite de l’accusation portée contre la dite femme Couvré »[22].

Enfin, en mai 1820, le concierge sollicitait l’admission de l’enfant de Marguerite Papineau, fille publique, accouchée 3 jours auparavant, sans justifier sa demande. Puis, en septembre de la même année, il fit la même démarche pour l’enfant nouveau-né de Angélique Caroline Giroux « fileuse de profession détenue comme fille publique attaquée du mal vénérien … ne pouvant garder son enfant pendant le temp qu’elle sera détenue »[23]. La contre- indication de l’allaitement du fait de la maladie avérée ou crainte pour le 1er cas explique-t-elle ces admissions rapides des enfants à l’hôpital général ?

Le retour auprès des parents à l’expiration de leurs peines

Des familles parfois réunies

En fin avril 1850, 2 femmes, Augustine Hure femme Langlois et Renée Frouteau femme Girard, citées plus haut, étaient condamnées à une peine de prison suivie du dépôt de mendicité et leurs enfants admis à l’hospice. Toutes deux récupèrent leurs enfants à la sortie du dépôt.  La première reprit le 27 mai la petite Rosalie alors âgée de 21 mois. La seconde retrouva ses 2 enfants François 8 ans et Henriette 4 ans un peu plus tard début juillet 1850. En effet, elle avait accouché entre temps d’un troisième enfant fin mai à l’hospice de la maternité où elle séjourna environ 6 semaines. Toutefois, tous les enfants ne purent retourner au sein de leur famille : parents peu désireux ou dans l’incapacité de les reprendre, incarcérations répétées, mort, disparition des parents. Et des admissions provisoires devinrent peut-être, de ce fait, définitives.

Des mères peu pressées de reprendre leurs enfants ou dans l’incapacité de le faire

 En 1849, les autorités se penchèrent sur le cas de la famille Liger. La question sur l’orthographe du nom semblait tranchée, mais il était désormais question de 5 enfants. La mère ayant purgé sa peine le 8 janvier 1849, les 5 enfants furent envoyés à la prison d’Orléans afin de lui être remis. Elle refusa alors de les reprendre, car elle n’avait pas perçu « les secours accordés » qu’elle obtint ultérieurement ce que confirma l’Inspecteur des Enfants trouvés. L’administration lui adressa une fois ce fait établi plusieurs « lettres d’injonction ». Et le 31 juillet 1849, elle se présenta « au secrétariat des hospices pour y déclarer qu’elle était sans ressource et sans asile, démunie de tout mobilier, le sien ayant été vendu par justice ; que les gages, comme domestique à la journée joints au 34 F alloués trimestriellement comme secours étaient insuffisants pour subvenir aux besoins de ses cinq enfants et qu’il lui était impossible de les reprendre, qu’enfin si on l’y contraignait, ne pouvant les nourrir, elle les enverrait mendier. Nous avons vivement insisté auprès d’elle, nous avons cherché à la ramener aux sentimens de la tendresse maternelle, mais toutes nos exhortations ayant été inutiles ». De ce fait, il est demandé au préfet de rendre « définitifs les arrêtés d’admission qui ne sont que provisoires tout en autorisant à les remettre à leur mère moyen extrême que nous considérions comme très fâcheux pour l’avenir de ces enfants ».[24] Au cours de nos recherches, nous avons retrouvé la trace de deux enfants de cette famille, témoignage du parcours chaotique vécu par de nombreux enfants. Ainsi Albert, le dernier né, est noté sur la liste des enfants admis le 4 décembre 1847. Placé en nourrice, il revient à l’hôpital en mai 1848 avant d’être replacé quelques jours après. Il reviendra en septembre de la même année avant de repartir 12 jours plus tard à la campagne. Il connut probablement trois nourrices. Sa sœur, Rosalie née le 2 avril 1844, sans doute la 5 eme enfant qui manquait, placée en nourrice début décembre 1847, revint à l’hôpital le 19 juin 1849 pour être remise à sa mère, mais le courrier ci-dessus laisse planer un doute sur la réalité de cette reprise.  [25]

De même, le 13 février 1836, l’hospice d’Orléans alertait le préfet du Loiret sur la situation de « les enfans Carré dont le père a été condamné à 5 ans de prison. Mère a 13 mois pour vol … reçu comme enfant à la charge du Département pendant la durée de la détention de sa mère. L’expiration de sa peine a du avoir lieu le 3 octobre … et elle ne s’est point encore présentée à l’hôpital pour y retirer ses trois enfants ». La mère était introuvable ; interrogé, le maire d’Yèvres le Chatel écrivit que « la femme Carré n’avait point reparu dans sa commune depuis plus de deux années ». Si elle ne fut pas retrouvée, nous pouvons penser que les trois enfants demeurèrent à l’hôpital provisoirement dans l’attente de la libération de leur père ou furent admis définitivement.[26] 

Des enfants admis plusieurs fois du fait des parcours judiciaires de leurs parents

Le jeune, Alphonse Paradis connut plusieurs admissions provisoires à l’hôpital et retours en famille en lien avec le parcours judiciaire de son père.

Il fut accueilli pour la 1ere fois le 14 février 1850, il avait alors 11 ans. Son père, Eloi Paradis, ex-gendarme étant détenu provisoirement à la prison d’Orléans. Le 22 avril de la même année, il fut remis à son géniteur, « gendarme à pied à la résidence de Châtillon sur Loing » et déclaré innocent par la cour d’assises, avec un jour de retard « attendu que ce jeune homme pendant son séjour à l’hôpital y a fait sa première communion et reçu la confirmation : cérémonies qui ont eu lieu hier soir et ce matin ». Le 2 mai, le garçon bénéficia d’une nouvelle « admission provisoire … attendu que son père quoiqu’acquitté aux dernières assises du Loiret, vient d’être par ordre de ses chefs supérieurs remis en prison et qu’il ignore quand il pourra en sortir » . Dernier épisode, le 11 juin, Alphonse fut « remis … entre les mains d’Eloi Paradis son père ancien gendarme à Châtillon sur Loing, sorti de prison » [27]

Un autre jeune garçon, un peu plus jeune, 7 ans vécut un parcours similaire du fait des séjours répétés de sa mère indigente au dépôt de mendicité. Le 31 mai 1850, les administrateurs de l’hôpital informaient le préfet : « Nous venons de réadmettre à l’hôpital le Jeune Besson (eugène) âgé de 7 ans, dont la mère, adèle angélique Maugras , veuve Louis Besson vient encore d’être arrêtée pour fait de mendicité et doit être conduite au dépôt de mendicité. Vous aurez la bonté de nous dire lorsque cette femme sortira du dépôt, si son enfant devra lui être rendu ». Dans leur esprit, la remise de l’enfant à cette mère misérable, récidiviste ne semblait pas évidente contrairement aux pratiques habituelles une fois la peine purgée. Finalement, la question ne se posa pas du fait du décès d’Eugène le 30 septembre 1850, sa mère était encore détenue au dépôt de mendicité de Beaugency.[28]

D’autre part, les autorités connaissaient sans doute les motifs d’incarcération des parents. Beaucoup sont liés à la misère : vagabondage, mendicité, voire vol. Certains délits ou crimes les amenèrent-ils à surseoir ou à refuser le retour de l’enfant auprès des siens. Au cours de nos recherches, nous n’avons trouvé aucune trace d’une telle décision. Cependant, une situation nous interpelle. En novembre 1848, Honoré Delaveau fut admis provisoirement à l’hôpital ; sa mère était « détenue sous prévention d’infanticide »[29]. S’agissait-il d’un meurtre d’enfant (décès accidentel suspect), d’un néonaticide, de gestes abortifs de la femme suivis de la naissance d’un nouveau-né mort ? Nous ignorons la peine prononcée, le lieu d’incarcération et surtout, nous ne savons pas si l’enfant fut remis à sa mère à la sortie de prison. Des recherches au niveau de l’état civil nous donnent toutefois quelques informations : la date de naissance d’Honoré le 3 mai 1846, à Vimory, de père inconnu, sa mère, Marie-Madeleine Delaveau, 28 ans était alors sans profession. Nous connaissons également la date de son mariage : 13 juillet 1869 à Vieilles-Maisons-sur-Jourdry. Il était alors journalier, habitait Villemandeur et épousait une homonyme, Marie Louise Delaveau, 19 ans, domestique, demeurant dans la même ville. Sa mère était présente au mariage. Sans profession, elle résidait aussi à Villemandeur. Apparemment, les liens familiaux furent maintenus.  

A.D 45 2L 11 Registre de correspondance active 30/11/1848.

Mère et fils : une même destinée.

En 1826, Marie Anne Olive, 22 ans « élevée à l’hôpital général », incarcérée, fut transférée à Clairvaux le 25 juillet et son fils, Louis, environ 6 ans, fut admis à son tour parmi les enfants abandonnés. La condamnation ayant été prononcée le 29 juin, on peut penser qu’ils restèrent ensemble à la prison à peine un mois.

AMO 2D 3 Arrêtés du maire, 25/7/1826. Admission de Louis Joseph Alexis Olive.

 

 « enfants admis au nombre des enfants abandonnés jusqu’à la sortie ou la guérison de la mère » : des parents hospitalisés.

Des mères hospitalisées.  

De 1817 à 1850, 24 mères furent hospitalisées ; 20 à hôtel Dieu « pour s’y faire traiter de la maladie dont elle est atteinte », 2 dans le service des aliénés et 2 en maternité. Ainsi, Françoise Saunier, une célibataire de 38 ans, domestique à Vienne en Val fut admise le 17 septembre 1851 « à l’hospice de la maternité pour y faire ses couches » en fin de grossesse : « dans les 15 derniers jours du neuvième mois de sa grossesse ». Son fils naturel, François Saunier, âgé d’un peu plus d’un an et demi bénéficia d’ « admission provisoire … à l’hôpital jusqu’à la sortie de sa mère de l’hospice de la maternité » .[30] Bien sûr, comme pour le chapitre précédent qui traite des parents incarcérés, cette liste n’est pas exhaustive.

Elles étaient seules. Les « filles » étaient nombreuses. D’autres étaient veuves comme Marie France Petit qui fut admise en février 1850 avec son fils, Adolphe de 2ans ; son époux était décédé du choléra. Parfois, les maris étaient absents au moment de leur hospitalisation. Le 21 juin 1850, Euphrasie, Honorine Doucet, femme Cizeau « cette malheureuse, dénuée de toutes ressources accompagnée de ces deux enfants est entrée ce matin à l’hôtel Dieu pour s’y faire traiter de la maladie dont elle est atteinte » ; ces 2 fils, Louis et Charles étaient âgés de 8 et 4 ans et leur père était « détenu et condamné pour 5 ans » .[31]Le 11 novembre de la même année, Rosalie, Angélique Coulier, femme de désiré Rattouy ( ?), journalier, marinier de Combleux se présentait à l’hôtel Dieu, malade avec Auguste, 8 ans et Amélie, 4 ans. Dans un 1er temps, « nous avons voulu refuser l’entrée de l’hospice à ces deux enfants, mais force nous a été de les recevoir provisoirement quand cette pauvre femme nous a eu déclaré que son mari était dans le cours d’un voyage sur la Loire comme garçon marinier dont il ne devait revenir que dans un mois ou cinq semaines ». Finalement, les 2 enfants furent admis provisoirement « sous l’engagement que nous contractons de les rendre à leur mère aussitôt sa guérison ou au père si elle venait à succomber »  [32]

Une mère hospitalisée à deux reprises

Le 19 août 1850, Nadette Jeanne Poussin, veuve Supersac fut réhospitalisée 3 mois après sa sortie et ses 3 enfants à nouveau admis à titre provisoire ce qui semble avoir agacé les administrateurs de l’hospice si l’on se fie à la teneur de la lettre qu’ils adressèrent au préfet du Loiret : « La nommée Nadette Jeanne Poussin veuve Supersac vient de rentrer ce matin à l’hôtel Dieu, avec le cortège obligé de ses trois enfants qui sont

1° Denis Auguste Supersac né le 20 février 1841

2 °Gentien ??? Supersac né le 25 janvier 1845

3° Auguste Poussin né le 9 mars 1849

Les mêmes dont, par votre arrêté du 28 février dernier, vous avez ordonné l’admission provisoire en notre hôpital et que nous avons rendu à leur mère le 18 mai dernier à la sortie de l’hôtel Dieu nous venons de nouveau réclamer en faveur de ces malheureux enfants dénués de toutes ressources une admission provisoire en notre hôpital à la condition de les remettre à leur mère lors de sa guérison ou de sa sortie » [33]

Une accouchée handicapée

Le 26 janvier 1849, les administrateurs sollicitaient l’admission de Jules Angonet, né à la maternité le 19 au vu de la situation de sa mère qui « quittant la maternité sera contrainte par la nécessité de sa position et son dénuement complet de déposer cet enfant à la crèche ainsi qu’elle en a déjà prévenu » et « pour prévenir le scandale et les conséquences d’un enfant légitime ainsi déposé à la crèche ». Elle était mariée à Paul Angonnet, garçon tailleur d’habits à Orléans ainsi présenté « fainéant sans ordre et sans conduite a abandonné sa femme avec son enfant il y a sept mois, sans que l’on sache ce qu’il soit devenu ; la femme presque impotente des deux mains, a toujours tenu une conduite irréprochable ; dénuée de toutes ressources, elle n’était soutenue, avant son entrée à la maternité, que par la charité de quelques personnes honorables »[34]

Un père hospitalisé    

Le 20 février 1851, Eugène David fut admis à l’hôpital au rang des enfants trouvés et abandonnés. Il était alors âgé de 4 ans. Son père « atteint d’aliénation mentale » avait été interné « au quartier des aliénés d’Orléans »[35], le 24 décembre 1850. Sa mère était décédée peu de temps après le 28 janvier. 

Les enfants admis provisoirement du fait de l’hospitalisation de leurs parents.

Les enfants admis provisoirement du fait de l’hospitalisation maternelle étaient au nombre de 39. Nous connaissons l’âge de 32 d’entre eux. Les plus âgés avaient entre 1 et 16 ans. Selon les règlements, les enfants au-delà de 12 ans n’étaient plus admis. Toutefois, dans certains cas, l’hôpital se trouvait dans l’obligation de les conserver. Six enfants avaient 2 mois et restèrent auprès de leurs mères hospitalisées sur la demande insistante de ces dernières ou du fait d’un allaitement en cours, ce qui parfois posait problème.

 Ainsi, le 24 août 1850, les responsables de l’hôpital écrivaient au préfet du Loiret au sujet de la présence dans leur établissement d’Augustine Denis, née le 16 juin, qui était restée auprès de sa mère, Olympe Siroleau, femme de Pierre Denis lors de son hospitalisation. La mère était « entrée à l’hôtel Dieu le 10 courant, accompagnée de son enfant qu’elle allaitait, mais le caractère grave de sa maladie ne lui permet plus depuis plusieurs jours à satisfaire ce devoir maternel et l’enfant pousse des cris continuels qui troublent la tranquillité des malades de la salle où la pauvre mère est gisante » . Ils sollicitaient « admission provisoire … pour effet de confier cet enfant aux soins d’une des nourrices sédentaires à la crèche de notre hôpital et de procurer à nos malades la tranquillité dont ils sont privés depuis près de 8 jours » [36]

En novembre de la même année, malade, la colporteuse Victoire Pinont, se présentait avec son fils, Victor, à peine 2 mois, pour y être soignée d’« un frisson au sein », pathologie qui, évidemment, ne lui permettait plus d’allaiter. Dans un 1er temps, les employés de l’hospice tentèrent de refuser d’accueillir le bébé dont la mère « ne voulait pas se séparer ». Ils retrouvèrent le supposé père de cet enfant naturel, un ouvrier. Mais son « faible gain journalier »[37] ne lui permettait pas de le prendre en charge. In fine, Victor fit parti des enfants trouvés et abandonnés une quinzaine de jours.

A.D 45 2L 12 Registre de correspondance active 11/11/1850.

Durée des accueils provisoires

Parfois, nous disposons des dates précises d’entrée et de sortie de l’enfant admis pour cause d’hospitalisation parentale. Quand la première fait défaut, nous pouvons dans certains cas nous référer à la date de l’arrêté d’admission pris souvent 2 ou 3 jours après l’arrivée de l’enfant. Ainsi, nous pouvons calculer la durée de ces accueils provisoires qui prenaient fin généralement avec la guérison du parent, plus rarement le transfert de l’enfant ou le décès de la mère ou du père.

En ce qui concerne les fratries, tous les enfants entrèrent et sortir les mêmes jours. D’autre part, nous l’avons vu, des mères malades furent hospitalisées plusieurs fois à l’Hôtel Dieu et leurs enfants vécurent de ce fait plusieurs séjours à la crèche ou en nourrice. En effet, seuls les nourrissons allaités restaient auprès de leurs mères ; cela ne devait pas trop poser de problème au niveau de l’organisation hospitalière, l’enfant à la mamelle restant dans le lit de sa mère qui assurait sans doute ses soins sauf, nous l’avons vu, pour Augustine, trop bruyante, car sans doute affamée. Existait cependant le risque infectieux pour les nourrices ou éventuellement les autres malades. Les enfants plus âgés, certains étaient en âge d’être scolarisés, ne pouvaient demeurer auprès de leurs parents dans une salle commune avec des malades, des moribonds ou des insensés.

Pour la période de 1847 à 1851, nous avons pu calculer ou estimer 18 durées d’accueil provisoire correspondant aux hospitalisations de 15 mères et de 2 pères. Du fait de la présence de fratries, le nombre total d’enfants concernés s’élève à 24. La moyenne du temps de séjour est de 27 jours. Le plus court est de 7 jours ; en 1851, deux enfants furent admis pour ce laps de temps : Désiré Pascal Dupuis et Adélaïde Courtin. Mais pour elle, il s’agissait d’une seconde admission ce que déploraient les administrateurs : le 1er séjour avait duré environ un mois et demi. La prise en charge des enfants Supersac/Poussin est celle qui dura le plus longtemps : deux mois et demi ; il s’agissait également d’un premier séjour. En effet, leur mère fut réhospitalisée une second fois au grand regret des administrateurs.

Des enfants repris par la famille à la fin de l’hospitalisation maternelle

Certains enfants, comme Denis, Gentien Supersac et Auguste Poussin furent « remis entre les mains de leur mère sortant guérie de l’hôtel Dieu » après deux hospitalisations[38]. De même, Euphrasie Doucet, femme Cizeau retrouva ses fils Louis et Charles à sa sortie de l’hôtel Dieu le 1er juillet 1850 ; son époux était sans doute toujours incarcéré. Victor retrouva sa mère au bout de 15 jours.  D’autres n’eurent pas cette chance du fait du décès maternel. Ainsi, le 23 septembre 1850 Augustine Denis, 3 mois, le bébé qui pleurait dans la salle des malades, fut rendue à son père, garde-barrière, sa mère étant décédée 2 jours auparavant. De même, Auguste Rattouy et sa sœur Amélie retrouvèrent leur père, le marinier absent lors de l’hospitalisation de sa femme le 11 novembre 1850, la mère de famille étant morte le 24.

Certains enfants sans appui familial se retrouvèrent orphelins. Et des placements provisoires devinrent définitifs. Lucile Milsent, couturière à Orléans, « entrée à l’hôtel Dieu pour s’y faire traiter d’une maladie dont elle était atteinte y est décédée (le 09/07/1850) … elle était accompagnée d’Henry Milsent, son fils naturel né à Orléans le 5 janvier 1845…provisoirement accueilli à l’hôpital … maintenant orphelin et dénué de toute ressource » [39]. En septembre 1851, l’admission définitive était sollicitée pour les 2 enfants Thiercelin, Constance, 9 ans et Louis Pascal, 7 ans : « tous deux en traitement à l’hôtel Dieu d’Orléans où ils sont entrés le 1er de ce mois avec leur mère…42 ans, journalière à Ardon et qui est décédée le 17…, veuve … Ces deux enfants sont sans ressource ; leurs parents ne veulent pas les recevoir et, après leur guérison qui doit être prochaine ils ne trouveraient où aller… » [40]

Nous l’avons vu : les mères arrivaient malades à l’hôtel Dieu avec leurs progénitures, car elles étaient seules et isolées, sans soutien familial pour prendre en charge les enfants. Les grands-parents, les oncles, les tantes semblent bien absents. Toutefois, en 1850, la famille des enfants Lemaire Antoinette, 7 ans et Antoine,4 ans et demi se manifesta rapidement dès l’admission, avant même que la sortie de leur mère fût envisagée et sans informer cette dernière. Ces « deux parents bien intentionnés et qui veulent s’environner du mystère au regard de celle-ci, nous ont fait connaitre sa conduite irrégulière et les mauvais principes qu’elles leur inculques, en même temps qu’il nous exprime l’intention de les recueillir et élever chez eux parmi leurs propres enfants »   [41]. Faits avérés ou calomnies dans le cadre de dissensions familiales ? La mère était veuve. S’agit-il de la famille de feu le mari ? Nous avons effectué des recherches au niveau de l’état civil ; la mère, hospitalisée « pour être traitée d’une maladie grave » n’est pas décédée à cette période. Nous ignorons quelle suite les autorités donnèrent. A qui les deux enfants furent remis : à leur mère ou à ces « parents bien intentionnés » ?

Des responsables de l’hôtel Dieu peu favorables à l’admission des enfants avec leurs mères

A partir de 1850, les administrateurs exprimèrent de plus en plus leur désaccord quant à garder les enfants lors des hospitalisations des mères. Nous l’avons déjà vu pour les familles Poussin/ Supersac et Pinont. Dans leur lettre du 25 novembre 1850, adressée au préfet du Loiret qui demandait l’admission provisoire à l’hôpital général d’un enfant du Loir-et-Cher, ils expliquaient avoir constaté une augmentation de ce type de situation : « un abus qui ne tend qu’à s’agrandir » et proposaient de « s’armer d’une sévérité nécessaire, en faisant comme le passé, c’est-à-dire en n’admettant point les enfants en bonne santé accompagnant leurs parents malades ». Ils évoquaient aussi le problème des enfants domiciliés hors département.[42]

Le 17 février 1851, à l’occasion d’une nouvelle demande d’admission, ils interpellaient de nouveau le préfet devant « cet abus … intolérable » et employaient un autre argument concernant les enfants des mères malades : « ce séjour même momentané pourrait être nuisible à ces enfants »[43]. L’enfant concerné par le début du courrier était Julie Espioux entrée avec sa mère malade à l’hôtel Dieu à l’âge de 12 jours. Ses parents mariés étaient orléanais, demeurant rue St Marceau, le mari était peintre en voitures. On peut s’interroger et éventuellement comprendre l’agacement des responsables hospitaliers : pourquoi ce père n’avait-il pas organisé la prise en charge de sa petite fille ? Il est vrai qu’elle était peut-être allaitée. Mais une salle commune de malades n’était pas un lieu très sain. 

 A.D 45 2L 12 Registre de correspondance active 17/02/1851. 

 

Adélaïde Courtin, une enfant du Loir-et-Cher.

Le 29 janvier 1851, une journalière de 31 ans, demeurant à Nouan le Fuselier dans le Loir-et-Cher, Adélaïde Courtin, veuve de Jacques Portalle, se présentait à l’hôtel Dieu avec « sa fille naturelle » âgée d’un mois, prénommée également Adélaïde « dans un état le plus alarmant et ne peut plus allaiter ». Et, de nouveau, les responsables de l’établissement exprimaient au préfet leur mécontentement : « C’est encore là un Inconvénient grave qui n’a pris naissance que depuis l’établissement des Chemins de fer ….ainsi, cette Veuve Portale, au lieu de se faire traiter à l’hospice de Blois, accompagnée de son enfant qu’elle allaite, et notre hôtel Dieu, qui reçoit Indistinctement tous les malades ( ??) à quel Département ils appartiennent : et voilà que la dépense de la mère et de son enfant , Incombe à notre hospice quand elle devrait être à la charge de l’hospice de Blois » . Le 10 mars, Adélaïde Courtin, sortie de l’hôtel Dieu, reprenait sa fille qui avait bénéficié d’une admission provisoire par arrêté préfectoral du 12 février pour un séjour d’environ 1 mois et demi. Mais l’histoire ne s’arrêta pas là, le 26 mars, la Veuve Portalle revenait à Orléans avec son enfant et toutes les deux étaient de nouveau admises. Après avoir rappelé au préfet les faits, les administrateurs poursuivaient : « c’est vraiment abuser surtout quand on appartient comme la veuve Portalle au département du Loir-et-Cher, de la grande facilité de l’hôtel Dieu d’Orléans de recevoir Indistinctement tous les malades ». Le 1er avril, il annonçait le décès de la mère et demandaient l’autorisation « de faire diriger Immédiatement sur l’hospice de Blois » sa fille « appartenant au département du Loir-et-Cher ». Et, le 14 avril, la petite Adélaïde y fut « diriger par la voie des chemins de fer et sous la garde de deux infirmières [44]»

Parce que leurs parents emprisonnés ou souffrants étaient dans l’incapacité de s’occuper d’eux, des enfants partagèrent le sort des abandonnés de l’hospice d’Orléans. Cet accueil qui, par principe, devait être momentané se prolongea parfois selon les situations voire devint définitif en cas de décès ou de disparition des parents. Ainsi, dès le début de leur existence, des enfants connurent des parcours de vie douloureux avec plusieurs ruptures : séparation familiale, parfois plusieurs admissions provisoires si le parent était réincarcéré ou de nouveau hospitalisé, envoi en nourrice et séparation des fratries en cas d’admission définitive, partageant alors la destinée des abandonnés, des exposés.

D’autre part, les plus âgés avaient sans doute connaissance de l’incarcération de leurs parents. Quelques-uns restèrent d’ailleurs auprès de leur mère en maison d’arrêt : une expérience qui doit marquer… Si le motif de l’emprisonnement était l’indigence, on peut imaginer qu’ils étaient présents quand la famille mendiait : autre expérience éprouvante… Ils devaient aussi être conscients de l’altération de la santé de leur père ou leur mère qui souffraient d’une maladie grave imposant l’hospitalisation et quelquefois s’avéra fatale. Dans deux cas, il s’agit de pathologie psychiatrique et on peut s’interroger sur ce que vécurent les enfants concernés avant l’internement de leur parent « insensé ».

De surcroît, l’accueil même provisoire de ces enfants avait vraisemblablement un coût financier élevé pour l'hospice qui avait déjà à sa charge de nombreux abandonnés. Aussi, fréquemment, les responsables de cet établissement interpellaient le préfet lorsque des parents sortis de prison ne reprenaient pas leurs progénitures ou pour signaler que certains parents, parfois domiciliés hors département, profitaient indûment du système. A partir des années 1850, ils commencèrent à remettre en question le principe même d’accueillir des enfants non malades en cas d’hospitalisation du père ou de la mère.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



[1] Autre phrase couramment retrouvée dans les arrêtés du maire : « reçu …comme enfant abandonné pour y rester jusqu’ à l’expiration de la peine … et remis à la sortie »

[2] Voir sur ce sujet l’article de C. Penny Christine, « Les dépôts de mendicité sous l’Ancien Régime et les débuts de l’assistance publique aux malades mentaux (1764-1790) », Revue d'histoire de la protection sociale, 2011/1 (N° 4), p. 9-23. DOI : 10.3917/rhps.004.0009. URL : https://www.cairn.info/revue-d-histoire-de-la-protection-sociale-2011-1-page-9.htm»

[3] Article 274. Loi 1810-02-16 promulguée 26 février 1810.

[4] A.D 45 2L 12 Registre de correspondance active 2/05/1850.

[5] A.M.O 2D 3 Arrêté du maire du 27/12/1828. Les 6 enfants concernés : Courtois Jean, 3 ans, Bichard Jean-Louis 7 ans, sa sœur Bichard Marie, 8 ans, Beauchard Philippe 9 ans, Legrand Désiré 20 mois et Constant Louis 5 ans.

[6] « Le 27 juin 1792, an IV de la Liberté, l'Assemblée Législative rendit une loi concernant le local qui servirait de tribunal et de prison à la Haute-Cour Nationale fixée à Orléans, et désigna le monastère des Ursulines et son
église. Les bâtiments du monastère devinrent la prison d'Orléans (3) qui subsista en ce lieu jusqu'en 1896… »
Louis Gaillard, « Histoire du Palais de Justice d'Orléans », Bulletin de la Société archéologique et historique de l'Orléanais, t. 13, no 107,‎ juin 1995, p. 6.

[7] A.M.O Registre d’état civil des naissances d’Orléans, 1832 n°209.

[8] A.M.O 2D 2 Arrêté du maire 4/04/1820.

[9] A.M.O Registre d’état civil des naissances d’Orléans. n° 435.

[10] A.D 45 Registre d’état civil naissances de Pithiviers. 1828 n° 100.

[11] A.D.45 Registre d’état civil naissances de Pithiviers. 1827 n°80.

[12] A.M.O Registre d’état civil des naissances d’Orléans 1850, n° 788 (Joséphine Marceau), n° 1251 (Mathilde Lacroix).

[13] A.D 45 2L12 Registre de correspondance active 30/05/1849, 5/07/1849 et 19/11/1849.

[14] A.D 45 2L 1 Registre de correspondance active 07/12/47 et 11/12/47.

[15] A.M.O 2D 2 Arrêté du maire 25/08/1825.

[16] A.M.O 2D 3 Arrêté du maire 09/01/1829.

[17] Moreau-Christophe, Louis-Mathurin Code des prisons. Recueil complet des lois, ordonnances, arrêtés, règlements, circulaires et instructions ministérielles. Paris 1845. https://criminocorpus.org/fr/bibliotheque/doc/107/

[18] Ibid.

[19] Code des prisons Tome IV 20/03/1868 Circulaire d’ensemble. Op.cit.

[20] A.M.O 2D 3 Arrêté du maire 23/02/1832.

[21] A.M.O 2D 2 Arrêté du maire 07 /11/1826.

[22] A.M.O 2D 1 Arrêté du maire 14/02/1816.

[23] A.M.O 2D 2 Arrêté du maire 20/09/1820.

[24] A.D 45 2L 11 Registre de correspondance active 31/07/1849.

[25] A.D 45 1 Q 811 Registre servant à inscrire les noms des enfans revenus de nourrices. Ce registre ne fait pas mention des autres membres de la fratrie Liger.

[26] A.D 45 2L 8 Registre de correspondance active13 février 1836.

[27] A.D 45 2L 12 Registre de correspondance active 15/02/1850, 22/04/1850, 02/05/1850 et 11/06/1850.

[28] A.D 45 2L 12 Registre de correspondance active 31/05/1850 et 01/10/1850.

[29] A.D 45 2L11 Registre de correspondance active 30/11/1850.

[30] AD 45 2L 12 Registre de correspondence 17/09/1851.

[31] A.D 45 2L 12 Registre de correspondance active 21/06/1850.

[32] A.D 45 2L 12 Registre de correspondance active 11/11/1850.

[33] A.D 45 2L 12 Registre de correspondance active 19/08/1850.

[34] A.D 45 2L 11 Registre de correspondance active 26/01/1849.

[35] A.D 45 2L 12 Registre de correspondance active 20/02/1851.

[36] A.D 45 2L 12 Registre de correspondance active 24/08/1850.

[37] A.D 45 2L12 Registre de correspondance active 11/11/1850.

[38] A.D 45 2L 12 Registre de correspondance active 11/09/1850.

[39] A.D 45 2L 12 Registre de correspondance active 09/07/1850.

[40] A.D 45 2L 12 Registre de correspondance active 23/09/1851.

[41] A.D 45 2L 12 Registre de correspondance active 05/04/1850.

[42] A.D 45 2L 12 Registre de correspondance active 25/11/1850.

[43] A.D 45 2L 12 Registre de correspondance active 17/02/1851. 

[44] A.D 45 2L 12 Registre de correspondance active 08/02/1851,10/03/1851,26/03/1851,01/04/1851 et 12/04/1851.

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Contributions à l'histoire de l'enfance aux XVIIIe et XIXe siècle
  • Intéressée par l’histoire, j’ai effectué, des recherches dans plusieurs services d’archives sur les thèmes de l’enfance, des sages-femmes. Vous trouverez dans ce blog les écrits rédigés à partir de ces recherches. N. Dejouy
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Archives
Visiteurs
Depuis la création 1 491
Publicité