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Contributions à l'histoire de l'enfance aux XVIIIe et XIXe siècle
18 avril 2023

Le Conseil général du Loiret face au problème de l’abandon : fermer ou maintenir les tours.

 Comme nous l’avons évoqué dans notre contribution sur le tour d’Orléans : Le lieu de l’abandon : le tour de l’hôpital d’Orléans [1], si le décret impérial de 1811 entraîna la création d’un grand nombre de tours sur l’ensemble du territoire, un mouvement de fermeture de ces lieux ne tarda pas à se développer. Au niveau national pro et anti-tours échangèrent leurs arguments. Notre propos dans cette étude est d’éclairer comment cette problématique maintien/fermeture fut abordée au niveau du département du Loiret. Plusieurs aspects de l’abandon étaient à prendre en considération, d’une part ceux concernant la situation locale : l’explosion du nombre des expositions et sa conséquence immédiate l’augmentation du coût financier de la prise en charge des enfants, les taux de mortalité effrayants qui frappaient la population des abandonnés. D’autre part, des considérations d’ordre moral sur les raisons de l’abandon et les motivations des abandonneurs. Plusieurs administrations étaient concernées par ce problème : le Conseil général du Loiret, les administrateurs de l’hôpital général d’Orléans, la municipalité d’Orléans et à un degré moindre les hospices de Gien et Montargis. Nous nous intéresserons ici aux débats ayant occupé longuement l’institution départementale, cette dernière se trouvant pour des raisons juridiques en première ligne comme nous allons préalablement le présenter.

Le rôle du Conseil général dans la gestion des enfants trouvés et abandonnés.

Depuis la loi de finances de 1817, Les départements avaient en charge les dépenses dites extérieures à savoir les rétributions des nourrices. Ce texte avait abrogé l’article 12 du décret de 1811 qui prévoyait une somme de 4 millions de francs par an pris au budget de l’État pour régler les mois de nourrice et de pensions. Cette obligation financière et l’explosion du nombre des expositions explique le débat sur les tours au sein de l’institution, les taux de mortalité effrayants ne laissaient pas non plus insensibles les décideurs départementaux.

La fermeture des tours de Gien et Montargis à l’origine des débats.

Si l’on se base sur les délibérations de la commission administrative de l’hôpital, il semble bien que la fermeture des deux tours d’arrondissement soit à l’origine des débats sur le sort des tours départementaux avec néanmoins une nuance, nous ne possédons pas les délibérations du Conseil général avant 1834. Ouverts en 1811, les tours de Gien et Montargis fermèrent respectivement en 1832 et 1838. Ces fermetures, présentées comme provisoires, étaient, au moins pour Gien, mais probablement aussi pour Montargis, une décision du ministre de l’Intérieur à la demande du département. Une délibération de 1835 du Conseil général nous éclaire sur les raisons ayant amené la fermeture du tour de Gien : « La suppression de la crèche de Gien est principalement motivée sur la considération que les départemens de l’Yonne et de la Nièvre ayant supprimé les crèches qui existaient dans les arrondissements limitrophes du département du Loiret, les enfants abandonnés de ces départemens étaient exposés à Gien ce qui apportait dans cette partie des charges départementales un accroissement annuel qu’il importe d’arrêter. » [2] Cette décision fut contestée par le Conseil d’arrondissement de Gien qui réclamait la réouverture arguant d’une augmentation du nombre des infanticides. Cette demande envoyée au ministre de l’Intérieur fut rejetée, l’affirmation du Conseil d’arrondissement n’étant pas, après enquête, fondée.[3]

Nous ne possédons pas d’éléments sur les raisons qui amenèrent à la fermeture du tour de Montargis, mais on peut envisager que les arguments avancés pour Gien étaient aussi valables pour celui-ci.

« Il faut agir dans cette matière avec lenteur et réserve » [4]

En 1838, le débat sur la suppression des tours s’invita à nouveau au Conseil général. Deux arguments étaient mis en avant par le préfet : le premier « était que les tours facilitent et entretiennent la débauche et qu’ils tendent à affaiblir la naissance de l’amour maternel qui s’éveillerait et grandirait dans le cœur d’une jeune mère, si dès qu’elle s’aperçoit des suites de sa première faute, on ne lui faisait entrevoir le moyen d’échapper aux conséquences morales et aux charges qui en dérivent … » Le second en faveur du maintien s’appuyait sur « la crainte de l’abandon des enfants dans un lieu solitaire et plus encore la fréquence des infanticides. » [5]Au plan local, il était avancé que la suppression du tour de Gien avait amené une diminution de soixante expositions par an et qu’aucun infanticide n’était à déplorer. Il est probable que cette baisse était due à l’extinction des dépôts extérieurs au Loire mais aussi qu’une partie s’était reportée sur Orléans et Montargis. Pour ce qui était de la fermeture de Montargis, elle était trop récente pour en tirer des conclusions. Si financièrement et moralement, il était utile de supprimer ces deux tours, il était nécessaire d’en mesurer les conséquences avant de l’appliquer à Orléans.

1839, la suppression du tour d’Orléans en débat.

En 1839 débutèrent les débats qui devaient déboucher 17 ans plus tard, le premier février 1857 à la fermeture du tour orléanais. La question fut soulevée par un des conseillers généraux, outre l’aspect financier, une nouvelle problématique vit le jour. L’élu, se basant sur les chiffres de l’administration hospitalière fit état d’un taux de mortalité de 52%. A ses yeux, « ce résultat désastreux lui [paraissait] devoir motiver la suppression du tour, qui loin d’être favorable à la vie des pauvres enfants qui y sont exposés, est effectivement nuisibles à leur existence et encourage d’ailleurs l’immoralité. » [6] A l’issue de ces débats, il fut arrêté la création d’une commission spéciale composée de membres du Conseil général, du Conseil municipal d’Orléans, d’un médecin attaché aux hospices, de membres de la commission administrative de l’hôpital général, tous nommés par le préfet ayant pour objet d’examiner « la question de la suppression du tour d’Orléans. »

1840, le maintien du tour orléanais est acté.[7]

Lors de la session de 1840, il fut rendu compte au Conseil général des conclusions de la commission spéciale. Le maintien du tour orléanais fut acté. Si sa conservation présentait des inconvénients, ceux liés à sa suppression étaient encore plus grands. Cette décision était accompagnée de considérations et d’aménagements dans l’accueil des enfants au niveau du département. Il convenait tout d’abord ’ « qu’un asile secret reste ouvert » ce qui était dans l’esprit du décret impérial de 1811 qui garantissait l’anonymat. Ce lieu devant être central, ce qui pour Orléans peut se discuter. On peut penser que c’était surtout le seul endroit offrant la possibilité d’accueillir un grand nombre d’enfants. Il était impossible de rétablir les tours de Gien et Montargis « parce que trop rapproché des départemens voisins où les tours [avaient] supprimés ». Ceci acté, se posait le problème de l’acheminement et de la sauvegarde des nouveau-nés venus au monde loin du lieu unique d’exposition. Partant du principe que pour les cas les plus nombreux le secret n’était pas « absolument considéré comme nécessaire » il était décidé d’obliger les hospices d’arrondissement à savoir : Pithiviers, Gien et Montargis à recevoir les enfants trouvés et abandonnés. L’article 3  de l’arrêté pris par le préfet déterminait les conditions d’accueil des enfants dans les quatre hospices : «  avant d’admettre un enfant, les administrateurs devront exiger que son acte de naissance soit produit ou rédigé, toutes les fois que cela possible. » L’article 4 indiquait que ces derniers « pourront en usant de prudence et de discrétion soit refuser de recevoir définitivement un enfant lorsqu’ils le jugeront convenable soit le rendre à ses parens soit même exiger de ceux-ci le remboursement en partie ou en totalité des dépenses que l’enfant aura occasionnées à l’hospice. » Deux remarques s’imposent d’une part si l’on constate à cette époque une hausse du nombre des certificats, surtout de baptême, accompagnant les enfants lors de l’exposition permettant éventuellement d’identifier les parents, cette pratique était loin d’être majoritaire. De plus ces certificats étaient souvent accompagnés de certificat d’indigence attestant du bon droit de l’enfant à bénéficier de la charité publique. D’autre part, il s’avère qu’à la lecture de la correspondance active de la commission administrative de l’hôpital général, beaucoup d’énergie fut déployée pour renvoyer les enfants ne relevant de leur responsabilité. Il s’agissait souvent d’abandonnés venant d’autres départements voire des hospices de Gien et Montargis. Il semble que ces refus n’eurent qu’une influence marginale sur le nombre d’enfants admis. Un article concernait l’hospice de la maternité : « Une grande partie des inconvéniens et de dépenses du service des enfans trouvé résultant de l’organisation actuelle » de ce lieu. Le préfet prévoyait un nouveau règlement. Il fut aussi décidé de la création d’un poste d’inspecteur des enfants trouvés, décision qui allait se révéler fort judicieuse.

1844, le Conseil d’arrondissement d’Orléans réclame la réouverture des tours de Gien et Montargis.[8]

 

 

S’appuyant, en particulier, sur la mortalité effrayante qui touchait les enfants trouvés, le Conseil d’arrondissement d’Orléans réclama, en 1844, la réouverture des tours de Gien et Montargis, cette requête était présentée par le conseiller municipal et d’arrondissement Alfred Perreira que nous retrouverons plus loin. Plusieurs arguments furent avancés par le préfet pour s’opposer à cette demande. « Avant tout je dirai hautement, que cette mesure, si elle pouvait être adopté, serait la ruine de nos finances, sans compensation aucune ni pour la morale publique, ni pour le bien-être des enfants. Multipliez les lieux de dépôt, et non seulement vous faciliterez, mais vous provoquerez les expositions ». La suite de l’argumentation s’appuyait sur l’exemple des autres départements ayant supprimé leurs tours, en nombre très conséquent à cette date, sur le fait que le nombre d’infanticides n’avait pas augmenté. Quant à l’origine de la mortalité des enfants trouvés, elle était selon le préfet due à l’insalubrité de la salle de la crèche ce que confirmait le docteur Pelletier, inspecteur des enfants trouvés. Restait le problème des enfants venant des autres arrondissements ; selon le préfet, leur nombre n’était pas « aussi considérable qu’on pourrait le penser » L’éloignement du tour orléanais n’avait pas non plus d’incidence sur la survie et la santé des enfants : « N’attribuons pas aux prétendues fatigues d’un voyage, qui n’est ni long ni pénible, car les moyens de transport de Montargis, de Gien et de Pithiviers à Orléans sont faciles et rapides. » La conclusion était sans appel : « Le service des enfants trouvés est aujourd’hui dans une position qui s’améliore de plus en plus, et qui chaque année deviendra meilleure. » La délibération votée rejetait donc la demande de Conseil d’arrondissement arguant que de la suppression des deux tours il en avait « résulté une économie notable pour le département. » Pointant que ce débat « avait déjà été agité plusieurs fois dans ce Conseil », il pensait que la clôture des deux tours d’arrondissement était « sans inconvénient »

1846-1847 : les travaux de la commission spéciale.[9]

A l’issue de la session de 1845, le Conseil général décida de la création d’une commission spéciale. Elle devait « étudier avec tout le soin possible la question des enfants trouvés introduits dans l’hospice d’Orléans, sous le double rapport de l’admission et de la mortalité. » De nombreux aspects concernant ce dernier sujet, les causes et les mesures envisagées feront l’objet d’une étude séparée. Le 16 juillet 1846, les travaux de cette commission furent présentés à l’assemblée départementale. Dans son introduction, le préfet signalait une stabilisation du nombre des expositions permettant de contenir les dépenses dans des limites normales. Il se félicitait que le département n’est plus à sa charge « que les enfants qui lui appartiennent et ce grâce à l’action de l’inspecteur des enfants trouvés. » L’octroi de secours temporaires « judicieusement accordés » permettait aussi à certaines mères de conserver leurs enfants. Il concluait « Nous sommes parvenus ainsi à ne conserver dans nos hospices que les enfants dont l’origine est demeurée complètement inconnue, et ceux qui appartiennent à des malheureuses que leur position précaire a mise dans la nécessité de délaisser le fruit de leur faute, ou chez lesquelles l’inconduite a étouffé le sentiment qui s’éteint le dernier dans le cœur d’une femme, le sentiment de l’amour maternel. »

Le rapport du docteur Jallon.

Il fut ensuite procédé à la lecture du rapport du docteur Jallon, l’un des membres de la commission spéciale. Dans son rapport introductif, ce dernier replaçait la création des tours dans un contexte général. « On créa des tours où ils [les enfants] pouvaient être clandestinement déposés et recueillis. C’était un moyen de les soustraire aux funestes inspirations de la honte, ou aux criminels calculs de l’égoïsme ; une sentence admirable était inscrite sur ces tristes et étroits réceptacles : « Vos parents vous ont abandonnés, Dieu vous a reçus ». Mais cette mesure, toute philanthropique, en protégeant les produits de l’immoralité, encourageait la débauche, puisqu’elle délivrait des inquiétudes et des charges qui pesaient sur elle. Le nombre des enfants exposés s’accrut dans une proportion fâcheuse. Le Gouvernement se préoccupa de cette progression, toujours croissante, sous le rapport des mœurs et sous le rapport financier. On supprima les tours dans beaucoup de départements, et particulièrement dans les arrondissements du Loiret. Cette suppression a alarmé sur ses conséquences des hommes éminents, dont la noble éloquence a retenti à la tribune des Députés de France. Elle poussait, disaien-ils à l’infanticide ou à des actes non moins coupables, pour anéantir dans le sein même qui les avaient reçus, les germes d’une fécondité, chère à la vertu seule. »

Suivaient de longs développements adossés à des données statistiques, des observations médicales et même des autopsies. Il abordait principalement la question de la mortalité des enfants tant à l’hôpital qu’en nourrices. Deux conclusions du docteur Jallon concernaient la question des tours : la suppression des tours d’arrondissement n’avait pas entraîné d’augmentation des infanticides et la mortalité effrayante constatée chez les enfants ne trouvait pas son origine dans le transport des nouveau-nés entre le lieu de naissance et le tour orléanais. Le docteur Pelletier, inspecteur des enfants trouvés et abandonnés émettait un avis un peu plus nuancé : « Plus que jamais, je dirai que la suppression des tours n’occasionne pas nécessairement une mortalité plus grande parmi les enfants trouvés et abandonnés. » À la suite de ce rapport le préfet apportait d’autres éléments dont nous citons quelques extraits « Les enfants trouvés forment, en effet, une de nos plaies sociales les plus profondes, sous tous les rapports moraux et financiers. Les meilleurs esprits la sondent incessamment sans trouver de remède complet aux maux qui la cause. Les déplacements n’ont été qu’un palliatif momentané, dont nous cessons de ressentir l’influence. La suppression des tours a diminué un peu le nombre des expositions. L’avenir ne tardera pas à nous apprendre si cette diminution continuera. Constatons d’abord un premier fait, MESSIEURS , il n’en est pas le moins important, c’est que la réduction du nombre des tours d’exposition n’a produit aucun effet fâcheux, ni dans notre département, ni dans le reste de la France. […] L’administration devait réduire le nombre des tours et rendre moins facile l’exposition et l’abandon des enfants. Elle le devait dans l’intérêt de la morale et du bon ordre, bien plus encore que dans l’intérêt de nos finances. »

Après avoir fait plusieurs rappels historiques, évoqué son expérience personnelle en tant que préfet d’Eure et Loir et la situation dans d’autres départements ou en Belgique, dénoncé les abus des sages-femmes et des « meneurs » dans le dépôt des enfants dans les tours, il évoquait des pistes pour améliorer le service : surveillance du tour pour limiter les abandons, meilleur contrôle des nourrices pour limiter les abus, secours temporaires. Il optait de fait, sans vraiment le dire pour un statu quo en ce qui concernait le problème des tours du Loiret.[10]

Lors de la session de 1847, le problème des enfants trouvés et abandonnés occupa à nouveau longuement les travaux du Conseil général. Il fut fait état des travaux de la commission d’enquête chargée de rechercher les causes de la mortalité de l’hospice d’Orléans. Nous nous intéresserons à ses conclusions concernant le tour. Un consensus existait au sein de la commission, partageait par le préfet, les docteurs Jallon et Pelletier : « l’existence des tours entretient la dépravation des mœurs, concourt à la multiplication des fruits du libertinage, en facilitant les moyens de se soustraire aux devoirs de la maternité ;  que leur suppression n’a point réalisé les craintes qu’elle avait inspirées et qu’elle inspire encore à quelques personnes … », en l’occurrence sur les infanticides, la mortalité ou le nombre d’expositions. Le rapporteur ajoutait : « La conséquence logique qui découle de ces conclusions serait donc MESSIEURS, que le tour de l’hospice d’Orléans devrait être immédiatement supprimé. » En fait, cette suppression n’était demandée ni par la commission d’enquête, ni par le préfet, ni par la commission administrative du Conseil général. La prudence prévalait aux yeux des décideurs du département, l’enjeu était résumé par cette phrase : « S’il peut y avoir abus dans les admissions trop faciles il vaut mieux, disons-le hautement, pêcher par excès de charité que par un excès de rigueurs dont les conséquences pourraient être à jamais regrettables. » Il était demandé au préfet de faire étudier les mesures prises et les résultats obtenus par les départements de la Seine et de L’Indre-et-Loire afin de « mettre le conseil général, dans sa prochaine session, de statuer avec une entière connaissance de cause et définitivement sur le maintien ou la suppression du tour, et sur les modifications à introduire dans les admissions des enfants trouvés de l’hospice d’Orléans. Cette proposition fut adoptée par l’institution départementale.

1848, le préfet Pereira favorable au maintien du tour orléanais.[11]

Le 28 février 1848, à la suite à la révolution de 1848, un nouveau préfet, tout d’abord appelé commissaire du gouvernement provisoire est nommé dans le Loiret. Il s’agit d’Alfred Pereira. Il s’avère nécessaire de présenter succinctement ce personnage car il va adopter sur le problème des enfants trouvés une position très différente de ces prédécesseurs. Membre du Conseil municipal et d’arrondissement d’Orléans, c’est un républicain. Il est élu au comité central républicain d’Orléans et était candidat à la députation. En 1844, il avait au nom du Conseil d’arrondissement d’Orléans défendu la réouverture des tours de Gien et Montargis comme nous l’avons évoqué plus avant. Autant dire qu’il aborda le sujet d’une façon très différente lors de la session de 1848.

« La question des enfants trouvés est si grave, sa bonne solution si difficile, les résultats des mesures employés jusqu’ici si peu satisfaisans, qu’il est de mon devoir d’appeler encore une fois l’attention du Conseil général sur cet important sujet. » Son point de vue sur la question était en opposition avec les analyses de la précédente administration qui selon lui s’acheminait vers la fermeture du tour d’Orléans. Dans un long développement, il allait s’employer à démonter chiffres à l’appui, les différents arguments sur lesquels s’étaient appuyés son prédécesseur, le préfet de Villeneuve, tant sur les causes de la mortalité que sur la baisse du nombre des expositions. D’après les données qu’il avait récolées, le nombre des dépôts avait augmenté et ce à cause de la fermeture des tours de Gien et Montargis. Cette hausse était d’ailleurs à peu près égale à celle des décès. Selon lui la mortalité avant la fermeture des deux tours d’arrondissement était de 50 % depuis elle s’était élevée jusqu’à 63 %. Alfred Pereira réfutait ensuite les conclusions de la commission d’enquête sur la mortalité à savoir que la fermeture des tours n’avait exercé aucune influence sur ce drame. Pour lui les causes de décès invoqués, qu’il ne contestait pas, existaient déjà avant la fermeture des tours de Gien et Montargis. De même, il affirmait que le transport des enfants à Orléans influait, contrairement à ce qui avait été expliqué dans les rapports des médecins, aussi sur les décès. La suite de son propos concernait les infanticides, s’appuyant sur des données nationales tirées de publications sur le sujet, il en arrivait à la conclusion que le maintien des tours agissait favorablement sur leur diminution.

Une longue série de conclusions suivait : « L’influence des tours sur la mortalité des enfans et sur les infanticides me paraît suffisamment démontrée. Cette influence est pernicieuse, il faut donc la neutraliser. » Les solutions proposées par « l’ancienne administration, essentiellement hostile à l’institution des tours, qui, suivant elle, était un encouragement donné au libertinage, était sans cesse en quête d’institutions à leur substituer. » Il récusait « les secours aux filles-mères qui nourrissaient leurs enfants » et l’admission à bureau ouvert. La première comme « une prime scandaleuse au vice », la seconde, « barbare et inintelligente », barbare, car elle obligeait à choisir entre la crainte du déshonneur et l’amour maternel. Inintelligente ; car elle obligeait à « faire avec une espèce de solennité l’aveu public de sa faute, consigné dans un registre qui conservera éternellement cette flétrissure. » Pour lui, si les tentatives tentées jusqu’à présent pour remplacer sont impuissantes, « il faudra bien, quoi qu’ils en coûtent, revenir aux anciens errements et rétablir les tours d’arrondissements. » Se déclarant conscient des inconvénients inhérents au système, il invitait à les mesurer et les comparer aux avantages « savoir passer sur le mal pour recueillir le bien ». Pour bien faire comprendre ce dernier point, il se permettait « une comparaison entre les tours et les maisons de tolérance. » S’il admettait que les prisons comportaient « une forte proportion d’enfants trouvés parmi les malfaiteurs » la responsabilité reposait « sur les hommes du gouvernement déchu, sur ceux qui, au lieu de prendre des mesures sages et libérales, abandonnaient l’avenir de toute une classe d’infortunés aux hasards des délibérations départementales qui d’un fait, à savoir le prix de revient des enfants et attachant une importance exagérée à ce que ce prix ne dépassât pas les bornes de la plus stricte parcimonie. Si on avait fait élever convenablement les enfants trouvés, si on les avait instruits, moralisés ils n’auraient pas volé. »

Pour lui, deux systèmes s’opposaient « l’enfant laissé à sa mère, pour ainsi dire malgré elle ; il court grand risque de recevoir une éducation détestable, il n’est pas surveillé, il a sous les yeux de mauvais exemples qui le dépravent de bonne heure, il devient vicieux, mauvais sujet et plus tard criminel. »  Alors que dans la même situation familiale, si l’enfant est « admis dans un hospice dépositaire, il ne puisera pas, dans le mauvais exemple, une perversité précoce : élevé chez un honnête cultivateur, il devient homme en acquérant l’habitude du travail ; il entre dans la vie sociale par le recrutement militaire, par le mariage ; et l’ordre se trouve ainsi sortir du désordre. » Le choix était facile bien que coûteux, [12] mais c’était de l’argent bien employé sauvant chaque année « vingt mille femmes du désespoir et vingt mille enfants de la misère ou de la mort. » Les arguments du préfet Pereira que nous avons volontairement longuement cités s’inscrivaient dans les espoirs suscités par la révolution de 1848 et le retour des républicains au pouvoir. C’est d’ailleurs dans la nouvelle Assemblée nationale qu’il attendait une solution. En effet, le préfet ne proposait pas la réouverture des tours de Gien et Montargis, car il était conscient qu’en l’état, il y aurait un nouvel afflux d’enfants des départements limitrophes. Pour éviter ce problème, il proposait au Conseil général d’émettre un vœu pour que la représentation nationale vote une loi décidant « que dans chaque hospice d’arrondissement il [soit] établi un tour pour les enfants trouvés. » Il s’agissait tout simplement d’un retour au décret de 1811, tombé en désuétude sur ce plan. Le préfet ne doutait pas « que ce vœu serait entendu par le gouvernement, si les Conseils généraux [faisait] entendre leur voix. »

Alfred Pereira resta préfet du Loiret jusqu’en novembre 1849. Son vœu de voir une nouvelle législation adoptée ne fut pas exaucé. En 1849, une première commission présenta un projet de loi prévoyant la suppression du tour et la création d’un bureau attaché à chaque hospice. En 1850, un autre projet adopté une position totalement opposée. Si les Conseils généraux pouvaient déterminer le mode d’admission des enfants, chaque département devait néanmoins avoir un tour. Le rapporteur précisait que le rétablissement du tour avait fait l’objet de vives oppositions, mais qu’une forte majorité s’était prononcée pour. Ces deux projets ne reçurent pas l’onction législative. Notons que le deuxième projet de loi fut évoqué lors de la session de 1851 du Conseil général du Loiret.

1855 : la fermeture du tour est à nouveau évoquée.[13]

Il ne fut plus fait état du problème des tours pendant les années qui suivirent dans les délibérations du Conseil général du Loiret. Les élus s’en remettaient peut-être aux législateurs sans que rien ne se passe. La question ressurgit en 1855 avec un accroissement des expositions atteignant 390 cas en 1854 soit une hausse de 53 admissions, conjuguée à une augmentation des dépenses de 7 219 F. La hausse des dépôts était mise sur le compte de la fermeture des derniers tours dans les départements voisins. L’inspecteur des enfants trouvés évoquait « la nécessité de changer le mode d’admission des Enfans au tour d’Orléans et d’adopter des mesures analogues à celles qui sont prises dans les départemens voisins, où les tours ont été fermés pour la plupart et remplacés par des bureaux ouverts pour les admissions avec obligations de remplir certaines formalités. » Après avoir rappelé que ce débat agitait l’institution départementale depuis des années, le préfet dressait un bilan de l’existence des tours dans les départements voisins d’où il ressortait que seuls trois d’entre eux : l’Eure-et-Loir, l’Yonne et la Seine-et-Marne en possédaient un dans leur chef-lieu et uniquement ce mode d’admission. Le préfet estimait que pour conserver celui d’Orléans, il était nécessaire d’exiger qu’il en soit de même dans les départements limitrophes. La discussion fut ajournée faute d’éléments statistiques sur le taux de mortalité des enfants nouvellement admis et les causes de cette dernière.

1856-1857 : le tour d’Orléans est supprimé à titre provisoire.[14]

L’année suivante, le Conseil général se pencha donc à nouveau sur le maintien ou non du tour orléanais. Deux intérêts étaient à prendre en compte : les possibilités du département sous-entendu financières et « surtout les conditions qui doivent assurer la vie et l’avenir des enfants. Constatant que les taux de mortalité des enfants déposés étaient « infiniment supérieurs » à ceux des enfants laissés à leur mère, il s’avérait nécessaire de « tendre à engager ou à obliger la mère à conserver son enfant ». La solution consistait donc à subsister au tour « un bureau dans lequel seraient présentés les enfants par des gens qui devaient se faire connaître et faire connaître en même temps la mère de l’enfant… ». De de choix, mettant fin à l’anonymat prévu par le décret de 1811, il était attendu une diminution du nombre des admissions. Néanmoins, ayant en mémoire les nombreux débats qui avaient agités, tant localement que nationalement ce sujet, le Conseil général optait pour une fermeture provisoire au premier février 1857 ; elle devint définitive car elle entraîna effectivement une baisse notable des admissions. Nous avons décrit dans notre contribution sur le tour d’Orléans comme lieu d’exposition, le dispositif qui après près de 17 ans de débat le remplaça, nous nous permettons d’y renvoyer.[15]

Conclusion

Conformément au décret impérial de 1811, le département du Loiret ouvrit des tours dans les hospices de Gien et de Montargis ; celui d’Orléans existait déjà et ce depuis une date inconnue. Face à l’afflux d’enfants provenant des arrondissements limitrophes où ces dispositifs d’accueil avaient été fermés, il fut décidé en 1832 puis 1838 de clôturer ceux de Gien et de Montargis. La fermeture de ces deux lieux entraîna une explosion des expositions à Orléans mettant son hôpital dans une situation financière critique. S’engagèrent alors des débats portant d’une part sur la réouverture des tours de Gien et Montargis et sur le maintien ou non de celui d’Orléans. Les arguments avancés étaient à la fois d’ordre général, reprenant ceux échangés à l’échelle nationale, mais aussi en rapport avec la situation locale. Les échanges portaient sur le risque d’augmentation des infanticides, le nombre des expositions et la mortalité des enfants. Plusieurs rapports, de longs argumentaires des préfets successifs ponctuèrent les délibérations des Conseils généraux durant toutes ces années. En 1847, il ressortait que le tour d’Orléans devait être supprimé, mais l’institution départementale ne franchit pas le pas. L’année suivante, le préfet Alfred Pereira, nommé à la suite de la révolution de 1848, contesta l’ensemble des conclusions précédentes et se prononça pour le maintien du tour orléanais et une éventuelle réouverture de ceux de Gien et Montargis. La décision fut laissée en suspens dans l’attente d’une nouvelle loi qui ne vint jamais. Dans les années qui suivirent, si les enfants trouvés étaient toujours présents dans les délibérations, il ne fut plus question des tours. Ce problème fut à nouveau d’actualité en 1855, pour les mêmes raisons que dans les années 1830, l’afflux d’enfants provenant des départements limitrophes qui à l’exception de trois n’avaient plus aucun tour. Cette fois-ci, il fut rapidement décidé la fermeture provisoire en février 1857 puis définitive du tour orléanais et son remplacement par un bureau ouvert.

Pendant toutes ces années, le Conseil général fut confronté, comme d’autres départements, à une problématique : quelle était la responsabilité des tours dans l’explosion du nombre des expositions et ses conséquences financières, dans la mortalité effrayante qui frappait les enfants trouvés ? A cela, s’ajoutait la hantise de voir le nombre des infanticides augmenter.

Au-delà des préjugés, des propos moralisateurs ou stigmatisants, il semble, à la lecture des délibérations et rapports, que les conseillers généraux et les préfets successifs avaient un regard bienveillant à l’égard de ces enfants, qu’ils étaient soucieux, de voir leur sort s’améliorer, leur existence préservée. Ils agissaient par charité, par philanthropie, mais aussi pour des raisons financières. Sur ce dernier point, à leurs yeux, l’argent dépensé pour les enfants ne pouvait pas être investi dans le développement du département.

Il ressort à la lecture de ces débats que les élus du département eurent beaucoup de mal à choisir le meilleur mode d’admission, craignant de prendre les mauvaises décisions sur un sujet qui mettait en jeu l’avenir de tous ces jeunes enfants.

 

 

 



[1] En ligne sur ce blog.

[2] A.D 45 PO53 1835. Procès -verbal des séances du Conseil général du Loiret, session de 1835.

[3] A.D 45 PO53 1836. Procès -verbal des séances du Conseil général du Loiret, session de 1836.

[4] A.D 45 PO53 1838. Procès -verbal des séances du Conseil général du Loiret, session de 1838.

[5] Ibid.

[6] A.D 45 PO53 1839. Procès -verbal des séances du Conseil général du Loiret, session de 1839.

[7] A.D 45 PO53 1840. Procès -verbal des séances du Conseil général du Loiret, session de 1840 pour l’ensemble des citations.

[8] A.D 45 PO53 1844. Procès -verbal des séances du Conseil général du Loiret, session de 1844 pour l’ensemble des citations.

[9] A.D 45 PO53 1846 PO 53 1847. Procès -verbal des séances du Conseil général du Loiret, sessions de 1846 et 1847 pour l’ensemble des citations.

[10] La suite des propos du préfet du Loiret concernait le problème de la mortalité dont il sera fait état ultérieurement.

[11] A.D 45 PO53 1848. Procès -verbal des séances du Conseil général du Loiret, session de 1848 pour l’ensemble des citations.

[12] Il cite dix millions de francs par an pour l’ensemble de la France.

[13] A.D 45 PO53 1855. Procès -verbal des séances du Conseil général du Loiret, session de 1855 pour l’ensemble des citations.

[14] A.D 45 PO53 1856. Procès-verbal des séances du Conseil général du Loiret, session de 1856 pour l’ensemble des citations.

[15] Le lieu de l’abandon : le tour de l’hôpital d’Orléans. Sur ce blog

 

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Contributions à l'histoire de l'enfance aux XVIIIe et XIXe siècle
  • Intéressée par l’histoire, j’ai effectué, des recherches dans plusieurs services d’archives sur les thèmes de l’enfance, des sages-femmes. Vous trouverez dans ce blog les écrits rédigés à partir de ces recherches. N. Dejouy
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